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  • le retour au bled entre nostalgie et regrets

      Le scénario du voyage est inchangé depuis des années Il le connaît par coeur pour l'avoir effectué quasiment à chaque départ pour les vacances d'été. Préparer les valises à l'avance, particulièrement celles contenant chemises, tee-shirts, parfums et gadgets achetés durant la période des soldes, autant de cadeaux pour les cousins, cousines, voisins, voisines sans oublier le café et le thé vert pour les oncles et tantes...

    Dès le mois d'avril, la nostalgie du bled se réveille en lui, telle le rhume des foins, il l'attrape avec les premiers rayons du soleil qui transpercent le ciel gris des cités européennes. C'est l'appel du bled. Il croit parfois sentir les odeurs d'encens, des épices, le parfum du melon du bled ; des fois il a l'impression que la poussière du pays chatouille ses narines, il se remémore les longues soirées familiales à palabrer dans la chaleur moite de l'été marocain. Il a hâte d'aller se ressourcer, revoir les anciens.

    A l'arrivée au Bled, les salamalek sont éprouvants, ils durent en général plusieurs jours, les membres de la famille défilent, la tante Tamo, la tante Fatouma, l'oncle Allal, le cousin Mimoun, la cousine Albahia, toute la tribu et au delà, le voisin de droite, le septième voisin de gauche...

    ded7a15afa760268e3e194a1bb08e429.jpgIl dort très peu, la maison est bondée, difficile de faire la sieste ; pendant la journée, certains invités qu'il surnomme "lassaqa" (la colle) tombent soudain malades, il faut les emmener chez le médecin, leur acheter des médicaments. Apparemment, un phénomène mystérieux déroute les services du ministère de la santé : c'est durant les mois de juillet et août que la santé des Marocains est la plus vulnérable.

    Il cherche à se reposer, il songe à quitter la région, trouver un endroit isolé où il trouvera calme et sérénité, il se découvre soudain une âme d'écolo, lui qui était devenu par la force des choses urbain, lui qui aime user ses godasses sur les pavés et l'asphalte de sa banlieue française et des rues marchandes du centre ville, le voilà cherchant déseséprément un havre où il peut deviser sur les vertus des silences infinis. Affaire compliquée, il faut négocier, "hchouma, wilii ! ça ne se fait pas !"... Difficile de faire une escapade en solitaire sur les hauteurs où au bord d'une plage déserte (elles sont de plus en plus rares, aucun coin de sable n'est épargné par l'appétit des requins du tourisme), il faut absolument emmener les petits de la famille, ceux du voisin aussi s'il reste des places dans la voiture bien sûr, « hchouma, wilii... ! »

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    Après quelques jours, il a enfin trouvé du répit, la maison s'est vidée des invités "lassaqa", il veut enfin profiter d'une sieste. Impossible de fermer l'oeil, ou plutôt l'oreille, le menuisier situé en bas de la rue a actionné sa scierie; les mégaphones des cafés et bazars se donnent à coeur joie, on dirait qu'ils participent au concours «  qui réussira le premier à exploser les tympans des voisins ».

     

    A l'heure où les rayons du soleil sont le plus aiguisés, des enfants profitent du peu de circulation dans la rue pour déambuler en criant et en tapant dans une balle. Il ouvre les volets, il a envie de hurler, de leur demander d'aller jouer ailleurs, et pourquoi pas aller manifester, faire un sit-in devant la mairie pour demander la construction d'un stade où ils pourraient s'adonner à leur sport préféré, et s'il le faut il les accompagnera comme porte parole. Elle le sauva du ridicule "awilii ! tu n'as pas honte, t'es devenu gaouri ? t'as oublié que toi-même, enfant, tu as joué au ballon dans cette rue, personne ne t'en a jamais empêché, hchouma !", elle ferma les volets...



    Il est convaincu que la pollution sonore est la pire des catastrophes. Tchernobyl est un conte de fées à côté des dégâts sonores d'une rue marocaine. La nuit, c'est pire. L'été est la saison des mariages au bled. Il y en a tous les jours. Depuis quelques années, les Marocains font appel à des traiteurs spécialisés pour organiser la cérémonie du mariage; ces derniers ont tellement de succès qu'il faut payer cher pour avoir la fête un samedi. Alors les gens choisissent n'importe quel jour de la semaine.


    La notion de tapage nocturne est inconnue au Maroc. Quand les gens font la fête, les voisins sont les premiers à être invités. Le jour de la fête, ils ne sont plus chez eux, ils sont parmi les fêtards, donc personne pour protester contre les nuisances sonores.

    Au bout de deux semaines, il se rend compte qu'il est presque à sec, normal, il n'a pas arrêté d'arroser toute la famille, deux mois de salaire y sont passées. Solidarité familiale oblige. "Vous savez, le plus grand inconvénant des sociétés européennes, c'est le manque de solidarité, alors qu'au bled, elle existe encore, c'est vachement important, la solidarité !" affirme-t-il souvent à ses amis de l'autre rive. Mais à chaque retour au bled, il se dit qu'il est prêt à payer un impôt spécial pour que l'Etat se charge d'améliorer les conditions de vie et l'accès à la santé des citoyens, ça lui coûtera certainement moins cher et surtout ça lui évitera de faire le père Noël, l'infirmier, l'ambulancier, le chauffeur privé, le banquier et beaucoup d'autres métiers inconnus dans les registres de l'ANPE...18f6a8d58db8c6a388c3a462ab35a4e5.jpg

     

    Le retour tant attendu finit par se changer en regrets. Décidément ce pays n'est plus le sien, il a du mal à le reconnaître. Les siens aussi ont changé, mais le jour du départ, , ils sont tous là, même les « lassaqa », ils le serrent fort, "A l'année prochaine inchallah, qu'Allah te préserve"... il a le coeur serré : "A l'année prochaine"...

    il sait qu'il reviendra, les anciens sont encore là, il reviendra se ressourcer auprès d'eux.

    Saïd Baïlal