la méditerranée est-elle vraiment bleue ?
Durant plusieurs années, j’ai cru que mes ancêtres les Amazighs (premiers habitants de l’Afrique du Nord) ne pouvaient pas voir la couleur bleue. En effet, il n’existe pas de mot en langue tamazight (berbère) pour désigner cette couleur.
Pour nommer cette couleur, les berbères utilisent parfois le mot « azegza » qui désigne plutôt la couleur verte. Lorsque, dans une conversation, il y a une ambiguïté et pour ne pas confondre les deux couleurs le bleu et le vert, on utilise l’expression « couleur du ciel ». Par exemple pour dire que ce « pull est bleu », on dit « ce pull a la couleur du ciel ».
Il y a quelques années, au hasard de mes lectures, je suis tombé sur un livre de l’historien Michel Pastoureau « le bleu, histoire d’une couleur ». Quelle fut ma surprise en apprenant que dans l’antiquité, les Romains et les Grecs ne nommaient pas la couleur bleue. D’ailleurs lorsque les langues romanes ont forgé le vocabulaire des couleurs, elles ont dû aller chercher ailleurs. Les langues française et italienne ont emprunté le mot germanique « blau » ce qui a donné « bleu » en français «et « blu » en italien. Les langues espagnole et portugaise ont utilisé le mot arabe « azraq » qui a donné « azul ». Chez les Grecs aussi, il y avait une confusion entre le bleu, le gris et le vert.
Il y a vraiment un paradoxe. Comment se fait-il que les habitants du pourtour méditerranéen n’ont pas pu nommer la couleur bleue alors qu’ils habitent une région où la couleur bleue est omniprésente et visible avec des nuances splendides. Il suffit de se mettre en été au bord de la mer pour s’émerveiller devant la diversité des éclats du bleu. D’ailleurs, on raconte que lors d’un séjour à Tanger, le peintre français Henri Matisse ouvrit un matin la fenêtre de sa chambre d’hôtel et fut ébloui par le spectacle qu’offrait la couleur bleue, allant de sa chambre peinte en bleu jusqu’au ciel en passant par la mer. Il inventa alors une nuance du bleu qui porte son nom « le bleu de Matisse »
Pour Michel Pastoureau le fait de ne pas nommer le bleu ne signifiait pas que les Romains et les Grecs ne le voyaient pas, la rétine humaine n’a pas changé de structure. Pour lui, les couleurs ne sont pas seulement des longueurs d’ondes ou des propriétés particulières de la lumière. Elles sont chargées de sens, de codes culturels et de préjugés qui façonnent notre vision du monde. Elles ont aussi une histoire. D’après lui, si les Grecs et les Romains ne nommaient pas le bleu, c’est parce que cette couleur était associée aux barbares et à l’étranger (c’était la couleur préférée des Celtes et des Germains).
Au cours des siècles, le bleu voit son statut se transformer. L’iconographie religieuse va le réhabiliter et lui donner un statut divin. A partir du 11ème siècle, le bleu deviendra la couleur de la vierge Marie. Le Roi de France s’habillera en bleu et l’aristocratie adoptera cette couleur. A partir du 18ème siècle la couleur bleue deviendra la couleur préférée des Européens.
Je pense qu’il faudra faire des recherches sur la symbolique des couleurs chez les Amazighs et en particulier sur l’évolution du statut de la couleur bleue au cours de l’histoire. On découvrira peut-être des similarités avec les conclusions de Michel Pastoureau.
En tout cas, ce qui est frappant c’est que cette particularité de ne pas nommer le bleu est propre aux langues nées sur le bassin méditerranéen. On peut même prendre cette particularité comme critère pour savoir si un peuple est vraiment originaire de la méditerranée ou pas. Si ce critère s’avère vrai, cela prouvera que mes ancêtres ne viennent pas de la péninsule arabique comme l’affirment certains historiens arabes, ni de l’Europe du Nord comme le clament les militants amazighs séparatistes.
Lorsqu’on rencontre un amazigh, il aime bien se définir comme « enfant de la terre » (amiss n’tmourth) ». J’espère qu’après la lecture de cet article, il se définira plutôt comme «fils de la mer » (amiss n’rbhar ).