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écriture

  • une autre vision des événements du 11 septembre

    A l'occasion de l'anniversaire des événements du 11 septembre, je remets en ligne un billet que j'avais publié à l'occasion de ces événements. Hélas, il est toujours d'actualité :

     

    La nuit dans le désert, le ciel est d’une profondeur religieuse, profondeur accentuée par la nudité du paysage. Les étoiles semblent y être des milliers de torches allumées pour célébrer la déesse lune, pour rendre plus éclatante sa transparence et plus profond son mystère.

     Face à ce paysage, les Arabes accordèrent une grande importance à la lune. Ils adoptèrent le calendrier lunaire, et deux des piliers de l’Islam, le ramadan et le pèlerinage à la Mecque, sont déterminés par l’astre de la nuit. Bref, la lune devint pour les Arabes le symbole de la perfection, du mystère et de la grâce. Jusqu’au jour où les Américains posèrent leurs pieds sur la lune. Ils montrèrent alors un paysage de désolation. La lune n’est que ravins et poussière. Elle ne brille d’aucune beauté, elle ne recèle aucun mystère.


    Ce fut un petit pas boiteux pour les Américains, et un grand pas dans le vide pour les Arabes.

     


    Cette parabole peut servir comme grille de lecture, parmi tant d’autres, des malentendus entre l’Islam et l’Occident. Elle peut nous éclairer sur le fait que la modernité incarnée par l’Occident bouleverse les valeurs de la majorité des êtres humains, en démystifiant et en désacralisant le réel, sans pour autant les faire bénéficier de ses bienfaits, ni donner sens à leurs destins individuels et collectifs.


    L’Occident doit revoir son rapport au monde et aux autres. L’arrogance que lui procure sa puissance technique et scientifique ne peut le conduire qu’au reniement de ses valeurs, des autres, et finalement de lui-même.


    Par ailleurs, les musulmans doivent prendre conscience qu’ils peuvent rendre sa beauté à la nuit de plénitude, à condition de repenser leur vision du monde et leur passé. «La beauté n’existe que dans les yeux de celui qui la regarde», chantait l’un de leurs poètes. Ils doivent rechercher les causes de leur déclin d’abord en eux-mêmes, au lieu d’en accuser toujours les autres.

     

    Saïd Baïlal 

  • les écrivains que je ne lirais jamais

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    C'est la rentrée littéraire en France. Cette année, les éditeurs nous proposent pas moins de 727 ouvrages. Certains remporteront des prix, et la plupart seront noyés dans la masse.

    Durant des semaines, des écrivains accorderont des interviews à la presse et à la radio. Ils sillonneront les villes de province pour parler de leurs livres et de leurs vies, dans les Fnac et chez d'autres marchands de livres. Ils envahiront les plateaux télévisuels, on les verra aux journaux TV, dans les rares émissions encore consacrées à la littérature, ils joueront même aux clowns dans des émissions de divertissment.

     

    Un écrivain qui se complait dans la banalité ambiante peut-il encore faire oeuvre ?

    Je viens de relire pour la énième fois "Le Temps des erreurs" du feu Mohamed Choukri, le poète aux pieds nus, celui pour qui l'écriture est une protestation non une parade. Il avait de la classe celui-là. Je me suis attardé sur l'extrait suivant :

     

    Je remarque un homme élégant, visiblement respecté par les clients du café, et souvent entouré de gens fringants aux airs solennels. Je demande à un homme assis près de moi de qui il s'agit.

    - Vous ne le connaissez pas, c'est l'écrivain Mohammed Essabagh.

    - Qu'est-ce qu'il écrit ?

    - Des poèmes en prose.

    J'achète ses livres : La Soif blessée, , L'arbre de feu, La Lune et moi. ces derniers sont traduits en espagnol. Je les lis et je me dis que s'il faut écrire ça pour être entouré de tant de déférence, alors je peux le faire moi aussi. Et même mieux. L'écriture est un privilège ! Je croyais que l'Ecrivain ne se montrait jamais en public, qu'il ne parlait pas avec les gens, comme Mohammed Essabagh dans ce café. Pour moi l'écrivain était mort ou invisible.

     

    Je ne sais pas pourquoi cet extrait m'a fait penser à la rentrée littéraire ?

    En tout cas je suis sûr d'une chose, j'aime lire et relire les écrivains absents.

     

     Saïd Bailal

     

    Les Tableau est de Mahi Binebine, peintre et écrivain Marocain

  • la langue arabe dans le miroir du désert

    Une langue est inséparable de l’espace géographique qui l’a vu naître,  elle porte les marques de ses reliefs et de ses aspérités. Elle garde en elle les germes du sol qui l’a jadis fertilisée. Elle transporte sous ses plis, l’aridité de la terre qui l’a allaitée. Elle porte les couleurs indélébiles du ciel qui l’a longtemps couvée.

    La langue arabe, née du désert, en garde encore l’aride mémoire [1],ni les époques, ni les continents qu’elle a traversés, n’ont pu effacer ces empreintes. Dans chaque mot arabe qu'on prononce, il y a un peu de sable qui suinte.[2],

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    • langue de la transcendance

    Quiconque a élu domicile dans le désert ou a eu l’habitude de le traverser a fait cette expérience marquante du vide, ce sentiment de la fragilité et de la futilité de la condition humaine. Le vide du désert est respiration du ciel et du sable[3], vertige de l’interrogation sur la vie et la mort.

     

    La désolation du lieu conjuguée à l’éloquence du ciel oriente vers la vie intérieure. Un proverbe touareg dit : Il y a des pays pleins d’eau pour le bien-être des corps et il y a des pays pleins de sable pour le bien-être des âmes”. L’univers pulvérisé du désert est propice à la spiritualité.Terre promise des rendez-vous avec la transcendance, le désert demeure le refuge préféré des mystiques.

    Une langue née dans le désert conduit nécessairement vers le ciel. Le souffle de la langue arabe respire la spiritualité, il est propice au jaillissement de voies mystiques.

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    •  langue qui scelle l’alliance entre terre et ciel

    L’horizon qui s’offre au regard de l’homme du désert n’est pas le même que celui qui se déploie devant le montagnard ou l’habitant d’un plaine fertile. L’horizon du montagnard, par exemple, change constamment, il suffit de se mettre à une hauteur différente pour qu’il prenne une autre forme. Par contre dans le désert, l’horizon paraît identique quelque soit l’endroit d’où on le regarde. Il est la ligne inatteignable, la limite indépassable, il suggère l’existence d’un au-delà.

     

    La langue du désert transformera cet horizon en un au-delà métaphysique. L’horizon se dit en arabe « Oufouq », mot dérivé d’une racine qui a, entre autre,  donné naissance au mots «Afaqa = se réveiller » et « tafawaqa = réussir, dépasser », comme si le véritable éveil ne peut se réaliser que dans cet au-delà dont l’horizon trace les contours, comme si l’humain ne peut se dépasser, transcender sa condition qu’en parvenant à franchir cet horizon, alliance de la terre et du ciel.

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    • langue du monothéisme

    Au fond, c’est quoi un désert sinon un tas gigantesque de sable. Il suffit d’y marcher pieds nus, de regarder les dunes se déplacer pour s’apercevoir que le secret ultime du désert est entièrement contenu dans un seul grain de sable.

     

    Au milieu du désert, la splendeur du soleil absorbe tous les paysages dans une célébration de l’unité, du medium_picture.jpgseul être nécessaire. Le sable chaud et la lumière vive effacent tous les détails, rendant la multiplicité invisible. Pour l’homme du désert, toute la réalité du monde se ramène à un seul élément, l’univers entier découle d’un même principe. La langue arabe en porte le sceau, la première lettre de l’alphabet arabe « ا = Alif » contient toutes les autres.

    Le désert est monothéiste ou n’est pas, la langue arabe aussi.

    ...... A suivre......

    © Saïd Bailal

     S

    [1] [2]  Khemir Nacer,

    [3] Jabès Edmond,

  • petite leçon de dissection

    medium_homme-machine.jpg"Je est un autre" A. Rimbaud

     

    Si on dissèque l’être de chair que nous sommes, on ne trouvera que tuyauteries, viscères, cellules et molécules. Et si on lève la peau à l’être de parole que nous sommes, on ne découvrira que normes, automatismes, habitudes et conventions.  Des machineries, certes complexes, mais qui restent de vulgaires artifices reproductibles à l’infini.

     

    Mais alors d’où vient ce « moi, Je ! moi, Je ! » ?

     

    Se réduit-il à une simple combinaison de ces deux artifices ?

     

     

    Certaines interrogations éternelles que se posent les humains depuis toujours ne prennent sens pour un individu que dans des circonstances particulières. Je me souviens d’une drôle de sensation que j’ai eu il y a six ans après avoir subi une intervention chirurgicale qui avait nécessité une anesthésie générale.

     

    Avant l’opération, on m’avait allongé sur un lit d’opération. On raccorda mon corps à plusieurs tuyaux. Le médecin anesthésiste avait l’air d’exécuter machinalement certains gestes. On aurait dit un mécanicien, il aurait suffi pour cela de quelques tâches noires sur  sa blouse, ses mains et son visage. J’ai eu l’impression d’être une simple machine dont on allait réparer quelques rouages.

    Je me suis réveillé quelques heures plus tard. Une infirmière se pencha vers moi pour m’annoncer avec un sourire artificielle et une voix monotone que l’opération s’était bien passée. Une légère angoisse et  une sensation de vide s’emparèrent de moi : "où étais-je durant l‘opération ? "

    J’étais convaincu d’avoir cessé d’exister pendant toute la durée de l’opération chirurgicale. Et pourtant !

     

    Tableau : Homme-machine, Michel Grimard