choc des civilisations ou malaise dans la civilisation ?
Lorsque le coin le plus reculé du monde a été conquis par la technique et peut être exploité économiquement ;
lorsque ce qui arrive sur la planète, à n’importe quel endroit, à n’importe quel moment, est accessible ;
lorsque, à travers la "couverture médiatique en direct" on peut simultanément "vivre" un combat dans le désert irakien et la représentation d’un opéra à Pékin ;
lorsque, à l’heure du réseau digital mondial, le temps n’est plus que vitesse, instantanéité et simultanéité ;
lorsque le gagnant d’un jeu de télé-réalité est considéré comme le plus grand homme d’un peuple ;
alors, oui, surgit de tout ce tumulte, tel un spectre, la question : et pourquoi ? pour aller où ?
– et alors ? …
Je viens de lire « Bienvenue dans le désert du réel » de Slavoj Zizek. Le philosophe et psychanalyste Slovaque nous livre des analyses fines de tous les investissements pulsionnels et idéologiques qui façonnent notre nouvel ordre mondial depuis l'effondrement des tours jumelles un certain 11 septembre 2001. Il y démonte toutes les illusions soutenues par nos bien-pensants du moment, pour démontrer, entre autre, que le vrai choc des civilisations n’est en réalité qu'un choc à l'intérieur de chaque civilisation, que l'alternative idéologique opposant l'univers libéral, démocratique et digitalisé, à une radicalité prétendument "islamiste" n’est en définitive qu'une fausse opposition, masquant notre incapacité à percevoir les vrais enjeux politiques contemporains.
Zizek est un des penseurs les plus décalés du moment, un poseur de questions hors normes qui ne recule devant rien pour percer le secret de nos contradictions. Son écriture est pimentée par des anecdotes tirées de films populaires et de blagues, ce qui rend sa lecture agréable et plaisante. D’ailleurs « Bienvenue dans le désert du réel » fait référence à la phrase prononcée dans le film Matrix, par le chef des rebelles, Morpheus, lorsqu’il accueillit Néo, le héros du film, dans la "vraie réalité" d’un monde dévasté par un ground zéro planétaire.