la langue arabe dans le miroir du désert
Une langue est inséparable de l’espace géographique qui l’a vu naître, elle porte les marques de ses reliefs et de ses aspérités. Elle garde en elle les germes du sol qui l’a jadis fertilisée. Elle transporte sous ses plis, l’aridité de la terre qui l’a allaitée. Elle porte les couleurs indélébiles du ciel qui l’a longtemps couvée.
La langue arabe, née du désert, en garde encore l’aride mémoire [1],ni les époques, ni les continents qu’elle a traversés, n’ont pu effacer ces empreintes. Dans chaque mot arabe qu'on prononce, il y a un peu de sable qui suinte.[2],
- langue de la transcendance
Quiconque a élu domicile dans le désert ou a eu l’habitude de le traverser a fait cette expérience marquante du vide, ce sentiment de la fragilité et de la futilité de la condition humaine. Le vide du désert est respiration du ciel et du sable[3], vertige de l’interrogation sur la vie et la mort.
La désolation du lieu conjuguée à l’éloquence du ciel oriente vers la vie intérieure. Un proverbe touareg dit : “Il y a des pays pleins d’eau pour le bien-être des corps et il y a des pays pleins de sable pour le bien-être des âmes”. L’univers pulvérisé du désert est propice à la spiritualité.Terre promise des rendez-vous avec la transcendance, le désert demeure le refuge préféré des mystiques.
Une langue née dans le désert conduit nécessairement vers le ciel. Le souffle de la langue arabe respire la spiritualité, il est propice au jaillissement de voies mystiques.
- langue qui scelle l’alliance entre terre et ciel
L’horizon qui s’offre au regard de l’homme du désert n’est pas le même que celui qui se déploie devant le montagnard ou l’habitant d’un plaine fertile. L’horizon du montagnard, par exemple, change constamment, il suffit de se mettre à une hauteur différente pour qu’il prenne une autre forme. Par contre dans le désert, l’horizon paraît identique quelque soit l’endroit d’où on le regarde. Il est la ligne inatteignable, la limite indépassable, il suggère l’existence d’un au-delà.
La langue du désert transformera cet horizon en un au-delà métaphysique. L’horizon se dit en arabe « Oufouq », mot dérivé d’une racine qui a, entre autre, donné naissance au mots «Afaqa = se réveiller » et « tafawaqa = réussir, dépasser », comme si le véritable éveil ne peut se réaliser que dans cet au-delà dont l’horizon trace les contours, comme si l’humain ne peut se dépasser, transcender sa condition qu’en parvenant à franchir cet horizon, alliance de la terre et du ciel.
- langue du monothéisme
Au fond, c’est quoi un désert sinon un tas gigantesque de sable. Il suffit d’y marcher pieds nus, de regarder les dunes se déplacer pour s’apercevoir que le secret ultime du désert est entièrement contenu dans un seul grain de sable.
Au milieu du désert, la splendeur du soleil absorbe tous les paysages dans une célébration de l’unité, du seul être nécessaire. Le sable chaud et la lumière vive effacent tous les détails, rendant la multiplicité invisible. Pour l’homme du désert, toute la réalité du monde se ramène à un seul élément, l’univers entier découle d’un même principe. La langue arabe en porte le sceau, la première lettre de l’alphabet arabe « ا = Alif » contient toutes les autres.
Le désert est monothéiste ou n’est pas, la langue arabe aussi.
© Saïd Bailal