Entre orient et occident
Lorsque j'étais enfant, il m'arrivait certains soirs de ne pas entendre le marchand de sable passer. J'allais alors me plaindre à ma mère. Elle me conseillait d'écouter mes os ("shess iyekhssen nek" en rifain, un dialecte berbère marocain).
"Ecouter ses os" signifiait pour ma mère entamer un voyage à l'intérieur de soi. Faire le bilan de sa journée. Si on n'a rien fait qui puisse déranger notre conscience, le sommeil finit par nous gagner. Sinon il fallait changer de comportement le lendemain, pour retrouver le sommeil et la paix de l'âme.
Pauvre enfant que j'étais, soumis très tôt aux affres de sa mauvaise conscience et condamné à être le comptable de ses propres erreurs.
Arrivé en France, j'ai appris qu'il suffisait de "compter les moutons" !
Point de poésie. Le sommeil et la paix de l'âme sont une affaire de calcul algébrique.
Pauvres moutons ! non seulement ils nous servent à assouvir nos appétits carnivores, mais aussi à s'acheter une bonne conscience.
"Ecouter ses os" ou "compter les moutons" : deux visions philosophiques du monde.
Au lieu de choisir entre les deux, j'ai appris à compter mes os tout en écoutant le bêlement des moutons me caressant avec leurs douce laine.
C'est ainsi que les os et les moutons m'ont aidé à inventer une nouvelle géographie ou l'Orient et l'Occident se profilent main dans la main sous le même horizon.
© Saïd Bailal