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politique - Page 5

  • Bernard Noël à propos d'incursions

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    ci-dessous une prise de position du poète Français Bernard Noël. Il n'a pas pu la publier dans les journaux Français.

    INCURSIONS OU IRRUPTION : LE GENOCIDE AU MOYEN-ORIENT SE POURSUIT

     

    Le mot « incursion » sert à désigner, dans les derniers bulletins d’information de France-Culture, les opérations militaires israéliennes au Liban. Ce mot saisit parce qu’il est original par rapport au vocabulaire des autres chaînes. D’après Littré, « l’incursion est une course ; par conséquent celui qui la fait passe seulement sur le terrain qu’il ravage ». Bien que vieille d’un siècle et demi, cette définition décrit assez bien l’action d’Israël, sauf que la « course » viole cette fois l’espace aérien et que le « ravage » tombe ainsi principalement du ciel.

     

    Littré renvoie au mot latin « incursio » qu’il traduit par « invasion ». La consultation du Gaffiot donne « choc , attaque » pour « incursio », puis « se jeter sur » pour « incursito » et « fondre sur, attaquer » pour « incurso ». Il ne faut pas, dit le Dictionnaire analogique, confondre « incursion » , qui est le fait de pénétrer momentanément dans un domaine qui n’est pas le sien, avec « irruption », qui consiste à pénétrer de vive force et à s’installer...

     

    L’aviation est l’instrument parfait de « l’incursion » puisqu’elle « se jette sur » son objectif et retourne aussitôt vers sa base. Les chars, les commandos, l’infanterie, par contre, sont obligés de faire « irruption » même si, officiellement, leur commandement n’a pas l’intention de s’installer. L’armée israélienne, dénommée Tsahal, combine de toute évidence depuis un demi-siècle « incursion » et « irruption » pour le plus grand dommage de ses voisins.

     

    L’histoire de cette période prouve en effet que l’existence et le comportement de Tsahal font de l’incursion et de l’irruption une méthode d’intimidation brutale dont l’exercice est sans cesse nourri d’actions violentes. Cela va du « bouclage » toujours arbitraire à la confiscation des terres, de la destruction des oliveraies et des maisons à l’assassinat ciblé, du bombardement des infrastructures civiles au bombardement des civils, de l’enlèvement et de la séquestration des responsables politiques à l’emprisonnement et à la torture de quiconque a l’infortune d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Tout cela au nom d’un droit à l’autodéfense et à la sécurité dont le résultat est de créer une insécurité générale, non seulement autour d’Israël mais dans tout le Moyen Orient.

     

    Devant tant de violences, dont le seul succès est d’en appeler et d’en rappeler d’autres aux références totalitaires fâcheuses, il semble que le simple bon sens aurait dû conduire à demander à la paix ce que ne peut obtenir la guerre. Mais non, l’Etat d’Israël s’obstine à entretenir l’oppression, la peur, la menace quand il ne passe pas à des actes qui visent à terroriser l’ennemi qu’en réalité ils fabri-quent. Pourtant, ces jours-ci, les actes en question atteignent un degré où l’injustifiable le dispute à la sauvagerie. Une sauvagerie masquée par la technologie guerrière qui métamorphose les tueries en une affaire inhumaine que les communiqués qualifient de « dégâts collatéraux ».

     

    L’humanité a sans doute besoin du contact, de la vision directe ou du face à face pour que le tueur ait conscience du droit de mort dont il dispose. On peut croire que tel n’est pas le cas de l’artilleur ou de l’aviateur qui tirent sur un « objectif », mais comment accorder cette circonstance atténuante aux généraux, ministres et chef de gouvernement dont le moins qu’on puisse attendre d’eux est qu’ils sachent ce qu’ils font ? Quand on compare l’importance des « dégâts » et la justification qu’en donnent les responsables israéliens, on se demande ce qui l’emporte chez eux du mensonge ou du racisme dans leur empressement à pousser au crime.

     

    Bien sûr, une bonne partie de leur arrogance dans le déni des faits tient à l’aide constante et à la conduite exemplaire de leur soutien américain, qui a si brillamment réussi la démocratisation de l’Irak et de l’Afghanistan. Les crimes de guerre, la torture des prisonniers, les massacres changent de nature dès lors qu’on les qualifie de lutte contre le terrorisme : ils tirent même de cette qualité une sanctification. Et puis, de toute évidence, les victimes de cette lutte n’ont pas droit à ce statut : il suffit de vous étiqueter « terroriste » pour que vous cessiez d’être un humain.

     

    Depuis des années, et les témoignages abondent à ce propos, on assiste en Israël à un entraînement au mépris. Au mépris du Palestinien, jour après jour humilié aux check-points, privé de travail, privé d’eau, d’électricité, de nourriture, malmené pour un oui pour un non, emprisonné sans jugement... Encore n’est-ce là que les formes les plus douces d’une oppression qui n’hésite pas à recourir aux obus, aux bombes, aux fusillades à Gaza ou au fameux « Mur » qui est en train de transformer la Cisjordanie en camp de concentration.

     

    La gravité de la situation ainsi créée s’accompagne de dizaines de morts avec un fort pourcentage de femmes et d’enfants. Tout cela a été dénoncé en vain par des articles, des documentaires, des livres, mais rien ne dénonce la dégradation morale qu’entraîne chez les Israéliens l’exercice régulier de l’oppression. Si l’artilleur et l’aviateur ne voient peut-être pas ce qu’ils font, l’oppresseur le voit fort bien quand il laisse des malheureux attendre des heures durant un passage, quand il enfonce les portes, casse les meubles, quand il écrase une maison avec son tank ou son bulldozer, quand il tire sur des enfants. Pour supporter ce face à face, il faut avoir pratiqué longuement le mépris et même en avoir fait sa culture. On sait à quel point il faut déshumaniser l’Autre pour le traiter comme un être inférieur.

     

    Le gouvernement israélien organise cette déshumanisation et le mépris raciste qui en découle. Il s’étonne de la résistance qu’il rencontre dans le temps même où il s’efforce d’en finir avec elle. D’où ce redoublement de violence, qui prouve un désir de génocide latent, et la rage de ne pas oser l’accomplir. Cette rage aveugle monsieur Olmert et sa clique puisqu’elle les fait agir à l’inverse de l’intérêt de leur peuple également aveuglé par leur propagande. Ainsi au quinzième jour de la destruction du Liban avec des bombes américaines dans le but de provoquer le rejet du Hezbollah cause, soit disant, de tout ce malheur, un sondage révèle aujourd’hui que 87% des Libanais voient dans le Hezbollah un mouvement de résistance qui les honore.

     

    La bêtise politique est criminelle : on le voyait en Irak, en Afghanistan, on le voit hélas en Palestine et au Liban. Le plus accablant est que cette bêtise ne rencontre aucune opposition dans un Occident qui se déshonore en lui trouvant des motifs respectables. Les pays arabes ne font pas mieux mais ils ont l’excuse, grâce encore à l’Amérique, d’avoir des gouvernements qui sont étrangers aux aspirations de leurs peuples. Il n’est pas nouveau de traiter de terroristes des mouvements de résistance, mais les utilisateurs de cette rhétorique apparemment inusable devraient savoir qu’il est dangereux de précipiter la résistance dans le désespoir.

     

    L’honneur n’a jamais été le fort des diplomates et des commerçants, mais il fut longtemps la règle du jeu des militaires. Quel honneur pourrait-il y avoir à bombarder une usine de lait, les pistes d’un aéroport civil ou les immeubles de l’autorité palestinienne ? Il est dommage que Tsahal et ses généraux n’aient jamais eu à méditer ce vers classique devenu proverbial : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». L’honneur d’Israël ne tient plus qu’aux quelques « refuzniks » qui refusent de massacrer des innocents, mais pour Tsahal, il est trop tard, cette armée d’élite n’est entraînée qu’à écraser plus faible qu’elle aussi doit-on la considérer désormais comme la plus lâche du monde.

    Bernard Noël.