Eloge des accents
« Depuis mes premiers souvenirs de la voix de mon père s'exprimant en français dans le cercle familial -plus précisément encore lorsqu'il s'adressait à moi -, et jusqu'à ses dernières paroles, j'ai entendu dans chaque syllabe qu'il prononçait la mémoire, l'empreinte, le fantôme, non seulement d'une autre langue que le français, mais aussi d'un autre monde et d'un autre temps. » Alain Fleischer
Au Maghreb, les berbères parlent l’arabe avec un accent très prononcé qui est souvent objet de moqueries de la part des arabophones. C’est pour cela que dès mon plus jeune âge, lorsque je me retrouverai dans les villes arabophones du Maroc, j’ai du me débarrasser très vite de mon accent. Plus tard en m’installant en France, pour éviter les rejets et les discriminations, j’ai gommé mon accent maghrébin en me fondant dans l’anonymat d’une prononciation correcte de la langue de Molière.
C’est là l’un de mes plus grands regrets.
J’aime les accents. Ils mettent l’écoute en veille en faisant tinter et vaciller les mots. Ils les difractent en de multiples éclats révélant souvent un autre sens éloigné de leur sens immédiat. Les accents attirent l’attention et l’aiguisent. Ils font entendre une autre langue dans la langue, ils font voir l’ailleurs dans ce qui parait familier. Ils révèlent le divers et le multiple dans ce qui parait uniforme. Les accents cultivent les ambiguïtés et mettent la lumière sur les infinis potentialités d’une langue. Lorsqu’à un accent plus ou moins correct se mêlent des accents étrangers, on jouit mieux de la langue.
Lorsque je me suis mis à l’écriture, j’ai essayé de transcrire cet accent perdu dans mes écrits. Hélas j’ai fini par me résigner, ma plume d’adulte n’a jamais réussi à retrouver ce que ma langue d’enfant avait perdu.
© Saïd Bailal