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kalima - Page 2

  • choc des civilisations ou malaise dans la civilisation ?

    Lorsque le coin le plus reculé du monde a été conquis par la technique et peut être exploité économiquement ;

    lorsque ce qui arrive sur la planète, à n’importe quel endroit, à n’importe quel moment, est accessible ;

    lorsque, à travers la "couverture médiatique en direct" on peut simultanément "vivre" un combat dans le désert irakien et la représentation d’un opéra à Pékin ;

    lorsque, à l’heure du réseau digital mondial, le temps n’est plus que vitesse, instantanéité et simultanéité ;

    lorsque le gagnant d’un jeu de télé-réalité est considéré comme le plus grand homme d’un peuple ;

    alors, oui, surgit de tout ce tumulte, tel un spectre, la question : et pourquoi ? pour aller où ?

    – et alors ? …

     

     

    0e0f90e90ad39a6cd211f5d1a904b7c0.jpgJe viens de lire « Bienvenue dans le désert du réel » de Slavoj Zizek. Le philosophe et psychanalyste Slovaque nous livre des analyses fines de tous les investissements pulsionnels et idéologiques qui façonnent notre nouvel ordre mondial depuis l'effondrement des tours jumelles un certain 11 septembre 2001. Il y démonte toutes les illusions soutenues par nos bien-pensants du moment, pour démontrer, entre autre, que le vrai choc des civilisations n’est en réalité qu'un choc à l'intérieur de chaque civilisation, que l'alternative idéologique opposant l'univers libéral, démocratique et digitalisé, à une radicalité prétendument "islamiste" n’est en définitive qu'une fausse opposition, masquant notre incapacité à percevoir les vrais enjeux politiques contemporains.

     

     

    e4d12627de92f511a7a900a1ba27291f.jpgZizek est un des penseurs les plus décalés du moment, un poseur de questions hors normes qui ne recule devant rien pour percer le secret de nos contradictions. Son écriture est pimentée par des anecdotes tirées de films populaires et de blagues, ce qui rend sa lecture agréable et plaisante. D’ailleurs « Bienvenue dans le désert du réel » fait référence à la phrase prononcée dans le film Matrix, par le chef des rebelles, Morpheus, lorsqu’il accueillit Néo, le héros du film, dans la "vraie réalité" d’un monde dévasté par un ground zéro planétaire. 

  • l'ordinateur, cet objet archaïque et dangereux

    L’ordinateur est le symbole par excellence de la modernité. Pourtant un rapide survol des mythes et de la littérature ancienne nous démontre qu’il est l’un des objets les plus archaïques au monde. L’idée de réaliser des machines intelligentes est aussi vieille que l’homme, elle rejoint le rêve de l’immortalité dans la liste des fantasmes permanents de l’humanité.

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    Dans le chant 18 de l’Iliade, Héphaïstos a fabriqué des tables à trois pieds capables de se mouvoir toutes seules dans le palais des dieux. La mythologie grecque relate aussi des histoires de femmes en or, douées de raison, capables de travailler et de parler, Pygmalion ira même jusqu’à épouser une de ces créatures Galatée qu’il a lui-même façonné.

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    Dans la tradition juive, le Golem est un être artificiel fait d’argile chargé, en cas de danger, d’avertir la communauté vivant dans le ghetto. Ce mythe du Golem inspirera plus tard à Mary Shelley son personnage de Frankenstein.

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    On trouve aussi l’équivalent du Golem dans plusieurs contes des mille et une nuits : des statues posées à la porte de certaines villes s’animent et alertent les habitants dès qu’un étranger s’approche de leur ville, on retrouve là l’ancêtre de la vidéo  surveillance et des systèmes d’alarme. D'ailleurs, la fameuse formule « Sésame ouvre-toi » est tout simplement l’équivalent d’une commande vocale.

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    e018c798c55b4aa51a632df9d08a63bf.jpgCes êtres artificiels de la mythologie, ancêtres de l’ordinateur et des automates, sont tous doués d’intelligence, ils sont au service de l’homme mais ils le dépassent par leurs capacités et ce qui étrange c’est qu’ils finissent tous par se retourner contre lui.

     

    Ne doit-on pas alors s’attendre au pire quand on sait que les mythes ne sont que des réminiscences de rêves collectifs et que certains rêves sont prémonitoires ?!

     

    Saïd B.
  • une autre vision des événements du 11 septembre

    A l'occasion de l'anniversaire des événements du 11 septembre, je remets en ligne un billet que j'avais publié à l'occasion de ces événements. Hélas, il est toujours d'actualité :

     

    La nuit dans le désert, le ciel est d’une profondeur religieuse, profondeur accentuée par la nudité du paysage. Les étoiles semblent y être des milliers de torches allumées pour célébrer la déesse lune, pour rendre plus éclatante sa transparence et plus profond son mystère.

     Face à ce paysage, les Arabes accordèrent une grande importance à la lune. Ils adoptèrent le calendrier lunaire, et deux des piliers de l’Islam, le ramadan et le pèlerinage à la Mecque, sont déterminés par l’astre de la nuit. Bref, la lune devint pour les Arabes le symbole de la perfection, du mystère et de la grâce. Jusqu’au jour où les Américains posèrent leurs pieds sur la lune. Ils montrèrent alors un paysage de désolation. La lune n’est que ravins et poussière. Elle ne brille d’aucune beauté, elle ne recèle aucun mystère.


    Ce fut un petit pas boiteux pour les Américains, et un grand pas dans le vide pour les Arabes.

     


    Cette parabole peut servir comme grille de lecture, parmi tant d’autres, des malentendus entre l’Islam et l’Occident. Elle peut nous éclairer sur le fait que la modernité incarnée par l’Occident bouleverse les valeurs de la majorité des êtres humains, en démystifiant et en désacralisant le réel, sans pour autant les faire bénéficier de ses bienfaits, ni donner sens à leurs destins individuels et collectifs.


    L’Occident doit revoir son rapport au monde et aux autres. L’arrogance que lui procure sa puissance technique et scientifique ne peut le conduire qu’au reniement de ses valeurs, des autres, et finalement de lui-même.


    Par ailleurs, les musulmans doivent prendre conscience qu’ils peuvent rendre sa beauté à la nuit de plénitude, à condition de repenser leur vision du monde et leur passé. «La beauté n’existe que dans les yeux de celui qui la regarde», chantait l’un de leurs poètes. Ils doivent rechercher les causes de leur déclin d’abord en eux-mêmes, au lieu d’en accuser toujours les autres.

     

    Saïd Baïlal 

  • les écrivains que je ne lirais jamais

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    C'est la rentrée littéraire en France. Cette année, les éditeurs nous proposent pas moins de 727 ouvrages. Certains remporteront des prix, et la plupart seront noyés dans la masse.

    Durant des semaines, des écrivains accorderont des interviews à la presse et à la radio. Ils sillonneront les villes de province pour parler de leurs livres et de leurs vies, dans les Fnac et chez d'autres marchands de livres. Ils envahiront les plateaux télévisuels, on les verra aux journaux TV, dans les rares émissions encore consacrées à la littérature, ils joueront même aux clowns dans des émissions de divertissment.

     

    Un écrivain qui se complait dans la banalité ambiante peut-il encore faire oeuvre ?

    Je viens de relire pour la énième fois "Le Temps des erreurs" du feu Mohamed Choukri, le poète aux pieds nus, celui pour qui l'écriture est une protestation non une parade. Il avait de la classe celui-là. Je me suis attardé sur l'extrait suivant :

     

    Je remarque un homme élégant, visiblement respecté par les clients du café, et souvent entouré de gens fringants aux airs solennels. Je demande à un homme assis près de moi de qui il s'agit.

    - Vous ne le connaissez pas, c'est l'écrivain Mohammed Essabagh.

    - Qu'est-ce qu'il écrit ?

    - Des poèmes en prose.

    J'achète ses livres : La Soif blessée, , L'arbre de feu, La Lune et moi. ces derniers sont traduits en espagnol. Je les lis et je me dis que s'il faut écrire ça pour être entouré de tant de déférence, alors je peux le faire moi aussi. Et même mieux. L'écriture est un privilège ! Je croyais que l'Ecrivain ne se montrait jamais en public, qu'il ne parlait pas avec les gens, comme Mohammed Essabagh dans ce café. Pour moi l'écrivain était mort ou invisible.

     

    Je ne sais pas pourquoi cet extrait m'a fait penser à la rentrée littéraire ?

    En tout cas je suis sûr d'une chose, j'aime lire et relire les écrivains absents.

     

     Saïd Bailal

     

    Les Tableau est de Mahi Binebine, peintre et écrivain Marocain

  • le retour au bled entre nostalgie et regrets

      Le scénario du voyage est inchangé depuis des années Il le connaît par coeur pour l'avoir effectué quasiment à chaque départ pour les vacances d'été. Préparer les valises à l'avance, particulièrement celles contenant chemises, tee-shirts, parfums et gadgets achetés durant la période des soldes, autant de cadeaux pour les cousins, cousines, voisins, voisines sans oublier le café et le thé vert pour les oncles et tantes...

    Dès le mois d'avril, la nostalgie du bled se réveille en lui, telle le rhume des foins, il l'attrape avec les premiers rayons du soleil qui transpercent le ciel gris des cités européennes. C'est l'appel du bled. Il croit parfois sentir les odeurs d'encens, des épices, le parfum du melon du bled ; des fois il a l'impression que la poussière du pays chatouille ses narines, il se remémore les longues soirées familiales à palabrer dans la chaleur moite de l'été marocain. Il a hâte d'aller se ressourcer, revoir les anciens.

    A l'arrivée au Bled, les salamalek sont éprouvants, ils durent en général plusieurs jours, les membres de la famille défilent, la tante Tamo, la tante Fatouma, l'oncle Allal, le cousin Mimoun, la cousine Albahia, toute la tribu et au delà, le voisin de droite, le septième voisin de gauche...

    ded7a15afa760268e3e194a1bb08e429.jpgIl dort très peu, la maison est bondée, difficile de faire la sieste ; pendant la journée, certains invités qu'il surnomme "lassaqa" (la colle) tombent soudain malades, il faut les emmener chez le médecin, leur acheter des médicaments. Apparemment, un phénomène mystérieux déroute les services du ministère de la santé : c'est durant les mois de juillet et août que la santé des Marocains est la plus vulnérable.

    Il cherche à se reposer, il songe à quitter la région, trouver un endroit isolé où il trouvera calme et sérénité, il se découvre soudain une âme d'écolo, lui qui était devenu par la force des choses urbain, lui qui aime user ses godasses sur les pavés et l'asphalte de sa banlieue française et des rues marchandes du centre ville, le voilà cherchant déseséprément un havre où il peut deviser sur les vertus des silences infinis. Affaire compliquée, il faut négocier, "hchouma, wilii ! ça ne se fait pas !"... Difficile de faire une escapade en solitaire sur les hauteurs où au bord d'une plage déserte (elles sont de plus en plus rares, aucun coin de sable n'est épargné par l'appétit des requins du tourisme), il faut absolument emmener les petits de la famille, ceux du voisin aussi s'il reste des places dans la voiture bien sûr, « hchouma, wilii... ! »

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    Après quelques jours, il a enfin trouvé du répit, la maison s'est vidée des invités "lassaqa", il veut enfin profiter d'une sieste. Impossible de fermer l'oeil, ou plutôt l'oreille, le menuisier situé en bas de la rue a actionné sa scierie; les mégaphones des cafés et bazars se donnent à coeur joie, on dirait qu'ils participent au concours «  qui réussira le premier à exploser les tympans des voisins ».

     

    A l'heure où les rayons du soleil sont le plus aiguisés, des enfants profitent du peu de circulation dans la rue pour déambuler en criant et en tapant dans une balle. Il ouvre les volets, il a envie de hurler, de leur demander d'aller jouer ailleurs, et pourquoi pas aller manifester, faire un sit-in devant la mairie pour demander la construction d'un stade où ils pourraient s'adonner à leur sport préféré, et s'il le faut il les accompagnera comme porte parole. Elle le sauva du ridicule "awilii ! tu n'as pas honte, t'es devenu gaouri ? t'as oublié que toi-même, enfant, tu as joué au ballon dans cette rue, personne ne t'en a jamais empêché, hchouma !", elle ferma les volets...



    Il est convaincu que la pollution sonore est la pire des catastrophes. Tchernobyl est un conte de fées à côté des dégâts sonores d'une rue marocaine. La nuit, c'est pire. L'été est la saison des mariages au bled. Il y en a tous les jours. Depuis quelques années, les Marocains font appel à des traiteurs spécialisés pour organiser la cérémonie du mariage; ces derniers ont tellement de succès qu'il faut payer cher pour avoir la fête un samedi. Alors les gens choisissent n'importe quel jour de la semaine.


    La notion de tapage nocturne est inconnue au Maroc. Quand les gens font la fête, les voisins sont les premiers à être invités. Le jour de la fête, ils ne sont plus chez eux, ils sont parmi les fêtards, donc personne pour protester contre les nuisances sonores.

    Au bout de deux semaines, il se rend compte qu'il est presque à sec, normal, il n'a pas arrêté d'arroser toute la famille, deux mois de salaire y sont passées. Solidarité familiale oblige. "Vous savez, le plus grand inconvénant des sociétés européennes, c'est le manque de solidarité, alors qu'au bled, elle existe encore, c'est vachement important, la solidarité !" affirme-t-il souvent à ses amis de l'autre rive. Mais à chaque retour au bled, il se dit qu'il est prêt à payer un impôt spécial pour que l'Etat se charge d'améliorer les conditions de vie et l'accès à la santé des citoyens, ça lui coûtera certainement moins cher et surtout ça lui évitera de faire le père Noël, l'infirmier, l'ambulancier, le chauffeur privé, le banquier et beaucoup d'autres métiers inconnus dans les registres de l'ANPE...18f6a8d58db8c6a388c3a462ab35a4e5.jpg

     

    Le retour tant attendu finit par se changer en regrets. Décidément ce pays n'est plus le sien, il a du mal à le reconnaître. Les siens aussi ont changé, mais le jour du départ, , ils sont tous là, même les « lassaqa », ils le serrent fort, "A l'année prochaine inchallah, qu'Allah te préserve"... il a le coeur serré : "A l'année prochaine"...

    il sait qu'il reviendra, les anciens sont encore là, il reviendra se ressourcer auprès d'eux.

    Saïd Baïlal