petite leçon de dissection
"Je est un autre" A. Rimbaud
Si on dissèque l’être de chair que nous sommes, on ne trouvera que tuyauteries, viscères, cellules et molécules. Et si on lève la peau à l’être de parole que nous sommes, on ne découvrira que normes, automatismes, habitudes et conventions. Des machineries, certes complexes, mais qui restent de vulgaires artifices reproductibles à l’infini.
Mais alors d’où vient ce « moi, Je ! moi, Je ! » ?
Se réduit-il à une simple combinaison de ces deux artifices ?
Certaines interrogations éternelles que se posent les humains depuis toujours ne prennent sens pour un individu que dans des circonstances particulières. Je me souviens d’une drôle de sensation que j’ai eu il y a six ans après avoir subi une intervention chirurgicale qui avait nécessité une anesthésie générale.
Avant l’opération, on m’avait allongé sur un lit d’opération. On raccorda mon corps à plusieurs tuyaux. Le médecin anesthésiste avait l’air d’exécuter machinalement certains gestes. On aurait dit un mécanicien, il aurait suffi pour cela de quelques tâches noires sur sa blouse, ses mains et son visage. J’ai eu l’impression d’être une simple machine dont on allait réparer quelques rouages.
Je me suis réveillé quelques heures plus tard. Une infirmière se pencha vers moi pour m’annoncer avec un sourire artificielle et une voix monotone que l’opération s’était bien passée. Une légère angoisse et une sensation de vide s’emparèrent de moi : "où étais-je durant l‘opération ? "
J’étais convaincu d’avoir cessé d’exister pendant toute la durée de l’opération chirurgicale. Et pourtant !
Tableau : Homme-machine, Michel Grimard