L'individu foule
"Chaque fois que je me suis cherché,
J'ai trouvé les autres
Et à chaque fois que j'ai cherché les autres,
Je n'ai trouvé en eux que mon être étranger.
Serais-je l'individu-foules ?"
Mahmoud Darwich murale
"Chacun de nous est une foule, même si, avec le temps, on préfère le simplifier jusqu'à la pauvreté d'une sigularité. L'obligation d'être des individus, de répondre à un nom et à un seul, habitue la variété des personnes qui s'entassent en chacun de nous à rester silencieuse. Ecrire aide à les retrouver"
Eri de Luca Rez-de-chaussée
Chacun de nous est le produit d'un passé collectif, familial, culturel, national ou religieux. Mais ce passé ne cesse de s'élargir grâce à la coexistence sur le même sol de plusieurs cultures et à la simultanéité des discours rendues possible par la modernité.
Nos relations avec les autres nous changent constamment. On sort rarement indemne d'une vraie rencontre, d'autant plus qu'on a actuellement plus de possibilités de rencontrer des personnes de divers horizons culturels avec des regards différents sur le monde et ayant d'autres manières de donner sens aux évènements et aux choses.
Ces élargissments de notre passé et de nos rencontres boulversent les identités. L'identité ne peut plus être conçue comme un bloc homogène de valeurs sûres et de shémas d'identification figés.
Or l'identité figée et "prêt à porter" offre une sécurité psychique qui est séduisante. Il n'est pas facile de vivre cette aventure d'une identité en constante mouvement, parce cela nécessite une perpétuelle remise en question de soi et un souci de détachement de tout pesanteur collectif. C'est une insécurité psychique et une aventure existentielle qui est difficile à assumer. Les soubresauts qui secouent notre planète depuis quelques décennies en sont la preuve, ils peuvent être vus sous l'angle d'une crise et d'un désarroi identitaires.
En ce qui me concerne je préfère cette insécurité. Elle est garante de ma liberté, elle rend aussi mes relations plus sereines à la fois avec avec mon passé et mes origines.
Mes origines ne me conditionnent plus, je les porte en moi avec plus de lucidité et paradoxalement plus de tendresse. Cela me permet aussi de mieux reconnaître d'autres racines qui me rattachent aux autres. Ce qui multiplie mes rencontres et par conséquent m'offre encore plus de possibilités d'être.
© Saïd Bailal
Commentaires
"Mes origines ne me conditionnent plus.." Comment peut on s'affranchir du conditionnement ??
le conditionement peut s'arrêter, se stoper, alors une nouvelle aventure commence, partir à la recherche de soi même...je comprends bien la tendresse que l'on peut porter à quelquechose que l'on porte en nous, de dur et même d'hyperdur, mais que l'on a vaincu, l'on s'est hissé dessus, kalima est passé ailleurs, il/elle s'est détaché(e) et du large contemple son passé, il faut donc pardonner pour avancer, mais pardonner n'est point oublier, d'ailleurs on ne s'affranchi surement pas du conditionnement, on le franchi. ou quelquechose comme ça.
j'ai bon?
jé
on ne s'affranchi du conditionnement que lorsque l'ego est vu comme tel et qu'on est soumis à la réalité: tant qu'on revendique une identité et un pouvoir factices, on reste dans le conditionné.
lire "s'affranchit"
tout à fait d'accord. Vive le "melting pot", le risque de la rencontre, garante d'ouverture d'esprit!!!
je suis assez d'accord avec jerôme david;
en tout cas on ne peut pas s'affranchir de tous les conditionnements, par exemple ceux qui font de nous un être humain (quoique certains mystiques chrétiens, soufis ou orientaux y sont parvenus mais à quel prix !),
par contre on peut s'affranchir (ou franchir comme le dit jérôme) des conditionnements de nos origines culturelles, lorsqu'on sait d'où on vient, lorsqu'on prend l'habitude de se positionner ailleurs pour épouser d'autres regards, lorsqu'on se risque à être un autre...
les raisons pour lesquelles on ne s'affranchit pas sont à chercher dans les rubriques suivantes: avidité, peur, paresse.
ce n'est que l'affranchissement qui fait l'être humain, kalima, pas autre chose.
"les hommes ne sont que l'ombre de l'Homme et l'Homme n'est que l'ombre de Dieu" (bas-relief babylonien).
Pas entièrement d’accord, si effectivement nous ne sommes que ce que nous désirons être (existentialisme) notre histoire génétique reste notre code. Nous suivons une co-évolution (nature+culture), l’un est immuable, incrusté dans nos gènes, l’autre est malléable, soumis à l’éducation. Donc il me semble impossible d’échapper à un conditionnement et ceux qui en font l’expérience ne réagissent qu’en référence à ce conditionnement,(en opposition). Il me semble beaucoup plus intéressant de se positionner dans le sens de l’évolution qui reste la référence en matière d’organisation des possibles.
métalogos,
existentialisme = théorie; par essence, abstraction (n'attend que celle qui l'invalidera pour disparaître; par appropriation, conditionnement).
culture = ensemble de conditionnements
éducation = ensemble de conditionnements (dans l'acceptation actuelle du terme éducation; originellement, éduquer = conduire hors de)
évolution = aucune évolution ontologique dans l'humain depuis son apparition (35 000 ans); avant de prétendre à l'évolution, peut-être serait-il judicieux de commencer par être.
Je pense comme Kalima , il faut savoir à quel niveau réel on se trouve , ne pas confondre ce que nous aimerions être et ce que nous sommes réellement .
Quand j'écris "réellement " , je ne parle pas dans l'absolu , nous ne connaissons rien de l'absolu sinon ce qu'on a lu , je parle de notre niveau au quotidien .
Essayons d'être modeste de voir ce qu'aujourd'hui nous pouvons espérer réaliser .
Kalima ne confond pas souhaits et vérité . Comme il le dit très bien :
"on peut s'affranchir (ou franchir comme le dit jérôme) des conditionnements de nos origines culturelles, lorsqu'on sait d'où on vient, lorsqu'on prend l'habitude de se positionner ailleurs pour épouser d'autres regards, lorsqu'on se risque à être un autre... "
Il n'oublie pas une autre perspective , plus haute :
"quoique certains mystiques chrétiens, soufis ou orientaux y sont parvenus mais à quel prix ! "
Il faut savoir rester à sa place !!! ce qui n'exclut pas de tendre vers plus d'élévation d'esprit .
Dire : "je suis donc je pense" (voire dire uniquement : "je") est déjà un conditionnement : celui de l'existence.
Alors, avec Goethe qui dit "Le but n'est-il pas le chemin ?", ne faut-il pas "construire" notre être plutôt que de résister à un conditionnement (ou à lutter contre).
Cela étant, le quotidien d'un trop fort conditionnement rend certainement le chemin plus difficile. Mais peut-être plus noble.
oui, je pense Kalima que notre "identité" se forge au grè des rencontres, des expériences, du vécu (sans vouloir rentrer dans vos débats "philosophico-existentiello-essensiello-trucmachin" lol) elle n'est certainement pas figée, j'aime bien cette phrase en "constante mouvement", pas facile à gérer certes mais tellement enrichissant... mais n'est-ce pas cela la vie ?
Je suis une femme, donc forcément autre chose que tout ça... mais quoi en fait ?
Ta note, que j'ai lue hier, me laisse perplexe... J'aimerais y croire, mais je ne suis pas si sûre que l'on échappe si facilement que ça à nos conditionnements. Quand je regarde les choix que je fais, et qui me semblaient bien individuels, et que j'étudie un tableau statistique... je ne me trouve pas très libre, mais bien déterminée... et pas forcément seulement par ma "culture".
Et la "rencontre" telle que tu la décris me paraît parfois chimérique.. Mais on va dire que je suis dans un jour pessimiste... oui tiens on va dire ça !
oui Shah... il a des jours comme ça !
on verra ce que tu diras demain ?!
:o))
Brûlure filante, le risque est que le tableau statistique lui ne change que peu.. et sûrement pas d'ici demain. Certes on peut lui faire dire beaucoup de choses contradictoires à lui aussi !
Shah : je ne sais pas pq mais j'avais +/- deviner la teneur de ta réponse !
Enfin, je vois très bien ce que tu veux dire car je ne suis pas vraiment ce qu'on appelle un bout-en-train !
On va dire aussi pour aujourd'hui : à pessimiste... pessimiste et demie !
:o))
On est celui que l'on veut être à chaque seconde de notre vie. Chaque seconde est porteuse d'un choix et oublier cela c'est nier l'humanité même...
Le temps qui passe est lui-même un conditionnement, le temps ne passe ni ne s'écoule, le temps humain n'existe que pour les hommes.
Tout ce que nous sommes dépend d'un référent commun auquel il est vain de vouloir échapper.
Je plaide moi aussi pour la modestie, accepter sans honte de partager un référent commun à toute l'humanité, ne jamais oublier que chaque seconde m'apporte un choix, y compris celui de la mort décidée, ressentir la richesse qui vit en moi, vouloir la confronter à la richesse qui est en l'autre...
Kalima, ce texte est magnifique, vraiment, mais je ne crois pas que notre époque soit traversée par une crise identitaire, ou plutot je crois cette crise nécessaire et porteuse d'espoir. Notre époque est celle du "moi, je". Cela nous navre quand il s'agit de téléréalité et que des ados se regardent le nombril dans des des miroirs qu'ils ne savent même pas déformants.. Mais en même temps, toutes les philosophies et religions du monde prônent de commencer par s'occuper de soi avant de s'intéresser au voisin.. Notre époque n'est-elle pas le prélude (pénible) d'une ère d'ouverture ?
Je pose (prudemment) la question...
cette période est comme toutes celles qui l'ont précédée, seul le décor est différent.
le sentiment (devrait-on dire les psychoses collectives?) qui règne dans l'air doit être similaire à celui qui règne chez les lemmings avant leur grande migration...
pour les "jeunes", une génération n'est représentative que du travail produite par celle qui la précède, rien d'autre; c'est un très joli miroir, en fait.
le temps est effectivement un conditionnement comme tous les produits issus de la pensée.
@pushkine,
tout à fait d'accord sur le fait "qu'on est celui que l'on veut être à chaque seconde de notre vie. Chaque seconde est porteuse d'un choix et oublier cela c'est nier l'humanité même..."
quant à la question de savoir si "notre époque est-elle le prélude (pénible) d'une ère d'ouverture ?"
je pense qu'on est arrivé à une période qui nécessite des choix collectifs importants.
En tout cas ces choix -s'ils sont encore réels et possibles- impliquent autant de risques que d'éspoirs.
ère d'ouverture ou pas... il nous faudra bien apprendre à communiquer entre nous... oui, des choix collectifs, Kalima, pour survivre dans ce monde que je trouve encore trop "brute", l'espoir fait vivre... plus que jamais.
savoir faire des choix collectifs - des choix qui traitent d'enjeux aussi importants que la survie de notre ecosystème et de la race humaine par exemple - implique que chacun soit à même d'entendre et de comprendre les revendications de l'autre. Chose qui ne saurait arriver dans un monde où tous nous serions coupés de la compréhension de nos propres sentiments. Aime-toi et comprends-toi toi même afin de mieux comprendre l'autre et de savoir l'aimer.
Je vois une génération qui ne s'aime pas, qui semble avoir honte du monde qu'elle nous lègue et de ses renoncements. Ce sont mes parents...
Je vois une génération perdue dans l'entre-deux mondes, qui regarde la complexité de nos sociétés avec les outils obsolète qu'on lui a fourni : une table de multiplication et 3 règles d'histoire.. Cela c'est moi
Je vois une génération que je ne comprends pas, que je veux comprendre, qui m'échappe, qui s'échappe, qui flirte avec le pire tout en étant infiniment mieux que nous ne l'étions. Ce sont les incendiaires de voitures, les stagiaires permanents, les lycéens, les audimateurs, les vaches à lait du sms...
Et je suis tout à fait optimiste
Je reviens sur la question initiale de ce fil de discussion :
se déconditionner ? comment ?
et j'en rajoute une : vraiment ?
J'ai en effet un mal de chien à me déconditionner définitivement de mes origines, ou pour être plus exacte, de mon éducation, dans certains de ses aspects franchement nocifs.
(Et ce malgré toute la peine que j'y mets depuis des années. )
J'ai même souvent cette impression d'être engluée dans des éléments qui ont été profondément - parce que précocément - intériorisés. Et cela est assez oppressant.
Peut-être dans la phrase questionnée de Kalima, ce qui frappe certains, c'est l'impression de finitude qu'elle donne. On croit peut-être lire que dans son cas, c'est une affaire réglée une bonne fois pour toutes.
Il me semble que par rapport à tout ce qui nous (a) fait, nous ne pouvons que mettre en place des processus pour justement mettre de la distance entre ça et nous, ce nous que nous voulons être.
Mais ce ''tout ce qui nous (a) fait'' dont nous voulons nous déconditionner ne reste pas selon moi gentillement à distance : pour l'y renvoyer, il faut régulièrement remettre l'ouvrage sur la table. (Il y a une expression de ce genre, je pense que ce que j'ai écrit ce n'est pas cela, vous connaissez l'exacte expression ?)
Leila, peut-être que j'ai exagéré en prétendant que j'ai réussi à me "déconditionner" complètement de mes origines. Mais j'estime que lorsqu'on a été bercé dans deux cultures et qu'on a appris à connaître le monde à travers deux systèmes de valeurs parfois contradictoires, on a alors la possibilité d'être dans cet "entre-deux" qui permet de relativiser les deux cultures, et donc à se frayer un chemin à soi sans être entièrement prisonnier des déterminations culturelles.
J'aime bien l'image coranique de "maraj Albahrayne" ce lieu d'entre deux mers où on peut être à la fois des deux mers tout en étant en dehors d'elles, ce "non-lieu" où on peut entrevoir la salinité excessive de l'une ou le manque de sel de l'autre, cet espace où on peut se réjouir dans la chaleur de l'une ou aller chercher la fraicheur de l'autre.
Bonne année Leila et Mabrouk alaid.
j'aime beaucoup ce que tu as ecrit Kalima.Une trés bonne année à toi, et surtout, sois fidele à tes mots : comprenne qui pourra...
Je cherchai les images d'un manga sur google, je suis tombé sur des calligraphies; elles m'ont mené ici, et j'ai lu tout le sujet.
Ce fut intéressant.
Cela m'évoque le fait qu'internet -qui avant d'être créé a été pensé- permette a notre pensée de se confronter à d'autres pensées.
Dans une certaine mesure, la pensée se propage, se heurte, se disloque, ne cesse d'exister, même si elle va de travers, n'a pas de but précis.
Elle est. Tout comme nous sommes une sorte d' "identité-pensée" ou "pensée-identité" a l'intérieur de nous-mêmes.
En m'appuyant sur votre discussion, notamment le "franchissement" de soi, je penses que toute vérité est question de croyance. Comme j'y crois -j'ai mes raisons propres d'y croire-, cela devient ma vérité. A chacun, selon ses raisons personnelles, d'établir son système de croyance, pour trouver sa vérité, et ainsi s'épanouir, "être" dans le sens le plus humble ou le plus arrogant -comme il lui sied. Si la vie offre ces deux possibilitées (il y en a une infinitude en réalité), c'est qu'elle a ses raisons. Et tout être vivant, vit, et dispose donc de chaque possibilité.
Je penses aussi que le moment présent, impossible à être analysé en direct par notre entendement, se décide à chaque instant selon un équilibre que nous ne sommes pas pleinement aptes à conscientiser-à comprendre.
En bref, si après avoir lu ces quelques lignes, vous ne vous posez pas des questions, quelles qu'elles soient, du genre:
"Qui est cet individu pour écrire de telles choses ?",
"Oû se trouve l'idée directrice ?",
"De quoi parle-t-il ?"
"Aurait-il raison ?"
"Aurait-il tort ?"
Alors certainement c'est que vous êtes plus averti que moi. Plus de vécu. Plus de lucidité.
Seulement quelque part, dans le questionnement, se trouve le changement, la compréhension. Etablissez-le en fonction de vos valeurs (de vos croyances, votre vécu, ce que vous ressentez), servez-vous-en pour étayer votre raisonnement, trouver votre aisance propre en la vie, par la croyance que ce que vous avez médité est vrai.
Il y a tellement de choses à dire, et finalement rien à décrire.
Dans le cadre de recherches sur le thème les identités pour préparer le concours science po, je suis tombé sur ton site et je viens de lire quelques unes de tes notes, elles sont d'une sagesse et d'une philosophie exceptionnelle je trouve, c'est vraiment très interessant.
Est ce que tu aurais des sites de réflexion ou des livres dans cette direction à m'indiquer ? Merci
Merci Micka,
je te conseille les reflexions sur les identités de l'écrivain Antillais Edouard Glissant, notamment ses concepts "identité-relation" et "identité-rhizome".
Tu peux trouver sur Dailymotion une série d'interviews sur l'identité européenne et sur la question des identités :
http://www.dailymotion.com/video/x5lnuj_glissant-le-toutmonde-contre-lident_news
Il y aussi l'approche de Patrick Chamoiseau qui resemble à celle de Glissant.
Il y a aussi les travaux du philosophe canadien Charles Taylor sur l'identité et la modernité.
Il y a bien sûr le livre d'Amine Maalouf "les identités meutrières",
et celui Amartya Sen "Identité et violence"
l'approche de l'écrivain américain d'origine palestinienne Edward SaId,
J'espère que ces quelques références te seront utiles
Tiens ton billet me fait penser aux deux bouquins d'Amin Maalouf :
1- les identités meurtrières
2- mes origines
Tous les deux constituent une invitation à la méditation.