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litterature - Page 2

  • les écrivains que je ne lirais jamais

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    C'est la rentrée littéraire en France. Cette année, les éditeurs nous proposent pas moins de 727 ouvrages. Certains remporteront des prix, et la plupart seront noyés dans la masse.

    Durant des semaines, des écrivains accorderont des interviews à la presse et à la radio. Ils sillonneront les villes de province pour parler de leurs livres et de leurs vies, dans les Fnac et chez d'autres marchands de livres. Ils envahiront les plateaux télévisuels, on les verra aux journaux TV, dans les rares émissions encore consacrées à la littérature, ils joueront même aux clowns dans des émissions de divertissment.

     

    Un écrivain qui se complait dans la banalité ambiante peut-il encore faire oeuvre ?

    Je viens de relire pour la énième fois "Le Temps des erreurs" du feu Mohamed Choukri, le poète aux pieds nus, celui pour qui l'écriture est une protestation non une parade. Il avait de la classe celui-là. Je me suis attardé sur l'extrait suivant :

     

    Je remarque un homme élégant, visiblement respecté par les clients du café, et souvent entouré de gens fringants aux airs solennels. Je demande à un homme assis près de moi de qui il s'agit.

    - Vous ne le connaissez pas, c'est l'écrivain Mohammed Essabagh.

    - Qu'est-ce qu'il écrit ?

    - Des poèmes en prose.

    J'achète ses livres : La Soif blessée, , L'arbre de feu, La Lune et moi. ces derniers sont traduits en espagnol. Je les lis et je me dis que s'il faut écrire ça pour être entouré de tant de déférence, alors je peux le faire moi aussi. Et même mieux. L'écriture est un privilège ! Je croyais que l'Ecrivain ne se montrait jamais en public, qu'il ne parlait pas avec les gens, comme Mohammed Essabagh dans ce café. Pour moi l'écrivain était mort ou invisible.

     

    Je ne sais pas pourquoi cet extrait m'a fait penser à la rentrée littéraire ?

    En tout cas je suis sûr d'une chose, j'aime lire et relire les écrivains absents.

     

     Saïd Bailal

     

    Les Tableau est de Mahi Binebine, peintre et écrivain Marocain

  • le retour au bled entre nostalgie et regrets

      Le scénario du voyage est inchangé depuis des années Il le connaît par coeur pour l'avoir effectué quasiment à chaque départ pour les vacances d'été. Préparer les valises à l'avance, particulièrement celles contenant chemises, tee-shirts, parfums et gadgets achetés durant la période des soldes, autant de cadeaux pour les cousins, cousines, voisins, voisines sans oublier le café et le thé vert pour les oncles et tantes...

    Dès le mois d'avril, la nostalgie du bled se réveille en lui, telle le rhume des foins, il l'attrape avec les premiers rayons du soleil qui transpercent le ciel gris des cités européennes. C'est l'appel du bled. Il croit parfois sentir les odeurs d'encens, des épices, le parfum du melon du bled ; des fois il a l'impression que la poussière du pays chatouille ses narines, il se remémore les longues soirées familiales à palabrer dans la chaleur moite de l'été marocain. Il a hâte d'aller se ressourcer, revoir les anciens.

    A l'arrivée au Bled, les salamalek sont éprouvants, ils durent en général plusieurs jours, les membres de la famille défilent, la tante Tamo, la tante Fatouma, l'oncle Allal, le cousin Mimoun, la cousine Albahia, toute la tribu et au delà, le voisin de droite, le septième voisin de gauche...

    ded7a15afa760268e3e194a1bb08e429.jpgIl dort très peu, la maison est bondée, difficile de faire la sieste ; pendant la journée, certains invités qu'il surnomme "lassaqa" (la colle) tombent soudain malades, il faut les emmener chez le médecin, leur acheter des médicaments. Apparemment, un phénomène mystérieux déroute les services du ministère de la santé : c'est durant les mois de juillet et août que la santé des Marocains est la plus vulnérable.

    Il cherche à se reposer, il songe à quitter la région, trouver un endroit isolé où il trouvera calme et sérénité, il se découvre soudain une âme d'écolo, lui qui était devenu par la force des choses urbain, lui qui aime user ses godasses sur les pavés et l'asphalte de sa banlieue française et des rues marchandes du centre ville, le voilà cherchant déseséprément un havre où il peut deviser sur les vertus des silences infinis. Affaire compliquée, il faut négocier, "hchouma, wilii ! ça ne se fait pas !"... Difficile de faire une escapade en solitaire sur les hauteurs où au bord d'une plage déserte (elles sont de plus en plus rares, aucun coin de sable n'est épargné par l'appétit des requins du tourisme), il faut absolument emmener les petits de la famille, ceux du voisin aussi s'il reste des places dans la voiture bien sûr, « hchouma, wilii... ! »

    .

    Après quelques jours, il a enfin trouvé du répit, la maison s'est vidée des invités "lassaqa", il veut enfin profiter d'une sieste. Impossible de fermer l'oeil, ou plutôt l'oreille, le menuisier situé en bas de la rue a actionné sa scierie; les mégaphones des cafés et bazars se donnent à coeur joie, on dirait qu'ils participent au concours «  qui réussira le premier à exploser les tympans des voisins ».

     

    A l'heure où les rayons du soleil sont le plus aiguisés, des enfants profitent du peu de circulation dans la rue pour déambuler en criant et en tapant dans une balle. Il ouvre les volets, il a envie de hurler, de leur demander d'aller jouer ailleurs, et pourquoi pas aller manifester, faire un sit-in devant la mairie pour demander la construction d'un stade où ils pourraient s'adonner à leur sport préféré, et s'il le faut il les accompagnera comme porte parole. Elle le sauva du ridicule "awilii ! tu n'as pas honte, t'es devenu gaouri ? t'as oublié que toi-même, enfant, tu as joué au ballon dans cette rue, personne ne t'en a jamais empêché, hchouma !", elle ferma les volets...



    Il est convaincu que la pollution sonore est la pire des catastrophes. Tchernobyl est un conte de fées à côté des dégâts sonores d'une rue marocaine. La nuit, c'est pire. L'été est la saison des mariages au bled. Il y en a tous les jours. Depuis quelques années, les Marocains font appel à des traiteurs spécialisés pour organiser la cérémonie du mariage; ces derniers ont tellement de succès qu'il faut payer cher pour avoir la fête un samedi. Alors les gens choisissent n'importe quel jour de la semaine.


    La notion de tapage nocturne est inconnue au Maroc. Quand les gens font la fête, les voisins sont les premiers à être invités. Le jour de la fête, ils ne sont plus chez eux, ils sont parmi les fêtards, donc personne pour protester contre les nuisances sonores.

    Au bout de deux semaines, il se rend compte qu'il est presque à sec, normal, il n'a pas arrêté d'arroser toute la famille, deux mois de salaire y sont passées. Solidarité familiale oblige. "Vous savez, le plus grand inconvénant des sociétés européennes, c'est le manque de solidarité, alors qu'au bled, elle existe encore, c'est vachement important, la solidarité !" affirme-t-il souvent à ses amis de l'autre rive. Mais à chaque retour au bled, il se dit qu'il est prêt à payer un impôt spécial pour que l'Etat se charge d'améliorer les conditions de vie et l'accès à la santé des citoyens, ça lui coûtera certainement moins cher et surtout ça lui évitera de faire le père Noël, l'infirmier, l'ambulancier, le chauffeur privé, le banquier et beaucoup d'autres métiers inconnus dans les registres de l'ANPE...18f6a8d58db8c6a388c3a462ab35a4e5.jpg

     

    Le retour tant attendu finit par se changer en regrets. Décidément ce pays n'est plus le sien, il a du mal à le reconnaître. Les siens aussi ont changé, mais le jour du départ, , ils sont tous là, même les « lassaqa », ils le serrent fort, "A l'année prochaine inchallah, qu'Allah te préserve"... il a le coeur serré : "A l'année prochaine"...

    il sait qu'il reviendra, les anciens sont encore là, il reviendra se ressourcer auprès d'eux.

    Saïd Baïlal

  • la France a-t-elle un avenir ?

    L’image que se fait un pays de lui-même est inscrite dans la pierre. Les monuments incarnent le sens particulier que donne un peuple à l’histoire, ils traduisent les orientations du présent plutôt tendu vers le passé, vers l’avenir ou bien un rétrécissement de l’horizon au seul présent instantané.

     

    Une France tournée vers l’avenir

    De Gaulles a construit essentiellement des ponts et des autoroutes, symboles d’ouverture et de rencontre. Il a été aussi un bâtisseur d’avenir, les projets qu’il a initié tel le concorde ou le TGV illustrent un désir d’innovation et de vitesse. 

     

    Sortie meurtrie de la guerre, la France sous De Gaulles était résolument tournée vers l’avenir. La victoire contre la barbarie nazie redonna force à l’espérance historique, mais pour peu de temps.

     

    Une France engloutie dans les failles du présent

    A la fin des années soixante, les Français désiraient profiter des fruits des « trente glorieuses ». Par ailleurs le bruit des chars soviétiques, envahissant les capitales de l’Europe de l’Est, avait installé le doute à propos d’un avenir radieux. Le désir d’avenir s’est immolé laissant place à une volonté de jouir du présent, « ici et maintenant », « jouissons sans entraves » proclamaient les jeunes en mai 68.

    Le centre Beaubourg construit par Pompidou a été dédié exclusivement à l’art moderne et contemporain. Cette célébration d’un art dominé par le design, la performance et l’immédiateté est l’indice d’un appétit du temps présent. 

     

    Les Français sous Pompidou étaient revenus de toutes les utopies sociales, ils ne croyaient plus à un avenir meilleur. Horrifiés par les souvenirs d’un passé meurtrier, ils voulaient vivre sur le mode exclusif de l’urgence, vivre au présent.

     

    Une France qui se réfugie dans la familiarité consolatrice du passé

    Au début des années 80, de plus en plus de Français sont touchés par le chômage et la pauvreté, ils n’ont plus la possibilité de profiter du présent. La gauche au pouvoir n’a pas pu tenir ses promesses d’un avenir meilleur. Lorsque l’espoir dans l’avenir s’éteint, lorsque le présent devient difficile à vivre, les hommes se tournent alors vers le passé.

    Mitterrand rénove le Musée du Louvre dédié exclusivement aux œuvres du passé, son choix d’une pyramide démontre une volonté de revisiter le passé. La grande Bibliothèque qu’il a bâtie souligne aussi cette volonté d’une France qui se réfugie dans l’érudition et dans le passé. Chirac succomba à son tour à cette nouvelle passion française : la fascination de l’ancien, il construisit le musée des arts premiers.

     

    A l’aube du deuxième millénaire la France doute, les espoirs dans l’avenir se sont estompés, les possibilités de jouir du présent se sont rétrécies. La France a vieilli. Elle est devenue incapable de préférer l’avenir au passé, le projet au souvenir. 

     

    Au vu des récents débats sur l’identité nationale, on peut parier que le prochain président construira exclusivement des musées dédiés à un passé hexagonal glorifié et mystifié.

     

  • la langue arabe dans le miroir du désert

    Une langue est inséparable de l’espace géographique qui l’a vu naître,  elle porte les marques de ses reliefs et de ses aspérités. Elle garde en elle les germes du sol qui l’a jadis fertilisée. Elle transporte sous ses plis, l’aridité de la terre qui l’a allaitée. Elle porte les couleurs indélébiles du ciel qui l’a longtemps couvée.

    La langue arabe, née du désert, en garde encore l’aride mémoire [1],ni les époques, ni les continents qu’elle a traversés, n’ont pu effacer ces empreintes. Dans chaque mot arabe qu'on prononce, il y a un peu de sable qui suinte.[2],

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    • langue de la transcendance

    Quiconque a élu domicile dans le désert ou a eu l’habitude de le traverser a fait cette expérience marquante du vide, ce sentiment de la fragilité et de la futilité de la condition humaine. Le vide du désert est respiration du ciel et du sable[3], vertige de l’interrogation sur la vie et la mort.

     

    La désolation du lieu conjuguée à l’éloquence du ciel oriente vers la vie intérieure. Un proverbe touareg dit : Il y a des pays pleins d’eau pour le bien-être des corps et il y a des pays pleins de sable pour le bien-être des âmes”. L’univers pulvérisé du désert est propice à la spiritualité.Terre promise des rendez-vous avec la transcendance, le désert demeure le refuge préféré des mystiques.

    Une langue née dans le désert conduit nécessairement vers le ciel. Le souffle de la langue arabe respire la spiritualité, il est propice au jaillissement de voies mystiques.

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    •  langue qui scelle l’alliance entre terre et ciel

    L’horizon qui s’offre au regard de l’homme du désert n’est pas le même que celui qui se déploie devant le montagnard ou l’habitant d’un plaine fertile. L’horizon du montagnard, par exemple, change constamment, il suffit de se mettre à une hauteur différente pour qu’il prenne une autre forme. Par contre dans le désert, l’horizon paraît identique quelque soit l’endroit d’où on le regarde. Il est la ligne inatteignable, la limite indépassable, il suggère l’existence d’un au-delà.

     

    La langue du désert transformera cet horizon en un au-delà métaphysique. L’horizon se dit en arabe « Oufouq », mot dérivé d’une racine qui a, entre autre,  donné naissance au mots «Afaqa = se réveiller » et « tafawaqa = réussir, dépasser », comme si le véritable éveil ne peut se réaliser que dans cet au-delà dont l’horizon trace les contours, comme si l’humain ne peut se dépasser, transcender sa condition qu’en parvenant à franchir cet horizon, alliance de la terre et du ciel.

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    • langue du monothéisme

    Au fond, c’est quoi un désert sinon un tas gigantesque de sable. Il suffit d’y marcher pieds nus, de regarder les dunes se déplacer pour s’apercevoir que le secret ultime du désert est entièrement contenu dans un seul grain de sable.

     

    Au milieu du désert, la splendeur du soleil absorbe tous les paysages dans une célébration de l’unité, du medium_picture.jpgseul être nécessaire. Le sable chaud et la lumière vive effacent tous les détails, rendant la multiplicité invisible. Pour l’homme du désert, toute la réalité du monde se ramène à un seul élément, l’univers entier découle d’un même principe. La langue arabe en porte le sceau, la première lettre de l’alphabet arabe « ا = Alif » contient toutes les autres.

    Le désert est monothéiste ou n’est pas, la langue arabe aussi.

    ...... A suivre......

    © Saïd Bailal

     S

    [1] [2]  Khemir Nacer,

    [3] Jabès Edmond,

  • Baudrillard n'est plus

    medium_baudrillard-pic.gifJean Baudrillard vient de s’éteindre. Il incarnait la figure d’un penseur vagabond. Il aimait traiter de tous les aspects de la vie quotidienne. Aucun détail n’échappait à son regard d’analyste, cet autre regard finissait par nous surprendre en nous restituant un réel inattendu échappant à nos yeux atteints par la myopie de l’habitude.

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     Sa réflexion majeure a été son analyse de l’image. Pour lui, le réel tend à s’effacer devant le " simulacre ". Derrière la plupart des images, quelque chose disparaît. Parce qu’à vouloir tout montrer, l’image annihile la présence des objets, elle aboutit à l’absence. L’image ne représente pas la réalité mais nous met en présence de palpitations de vie et de mort, et finalement d’une absence que ne saurait combler la multiplicité de représentations médiatiques dont nous sommes chaque jour abreuvés. Cette réflexion a été illustrée à merveille par la première guerre du Golf.

     

    Sa pensée a eu une grande influence au delà même des cercles universitaires. Selon les réalisateurs de la trilogie Matrix, son ouvrage "Simulacres et simulation" eut une influence majeure dans le scénario.

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    Sa plume de sociologue cache celle d’un vrai poète. Il avait la capacité à décrire son époque, à l’analyser, à forger des concepts avec un réel talent littéraire qu'on retrouve, par exemple, dans l'extrait suivant de "L'Echange impossible" :

    “Libérée de toute fonctionnalité, désormais dévolue aux machines intellectuelles, rendue à la clandestinité, la pensée redevient libre de ne mener nulle part, d’être l’effectuation triomphale du Rien, de ressusciter le principe du Mal. Voilà qui change toutes les perspectives. Car on se disait (sur le modèle de Cioran :” quel dommage que pour trouver Dieu, il faille passer par la foi !”) : Quel dommage que pour parvenir au monde, il faille en passer par la représentation ! Quel dommage que pour dire les choses, il faille en passer par le sens ! Quel dommage que pour connaître, il faille en passer par le savoir 'objectif” ! Quel dommage que pour que quelque chose fasse événement, il faille en passer par l’information ! Quel dommage que pour qu’il y ait de l’échange, il faille en passer par la valeur !

     

     

    Eh bien, c’est fini ! Nous sommes libres d’une autre liberté désormais. Délivrés de la représentation par leurs représentants eux-mêmes, les hommes sont enfin libres de ce qu’ils sont sans passer par personne d’autre, ni même par la liberté ou le droit d’être libres. Délivrées de la valeur, les choses sont libres de  circuler sans passer par l’échange et l’abstraction de l’échange. Les mots, le langage sont libres de correspondre sans passer par le sens. De même que, délivrée de la reproduction, la sexualité devient libre de se déployer dans l’érotique, sans le souci de la fin et des moyens.

     

    Ainsi s’opère le transfert poétique de situation.”