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littérature - Page 3

  • guerre et paix

    A la question : « comment libérer les hommes de la fatalité de la guerre », Freud  a répondu : « peut-être n’est-il pas utopique d’espérer que l’influence de ces deux facteurs, la position culturelle et l’angoisse justifiée dans les effets d’une guerre future, metterront fin à la pratique de la guerre. (...) tout ce qui promeut le développement culturel travaille du  même coup contre la guerre »

     

    La culture suffit-elle à faire éviter la guerre ?

     

    L’état du monde durant le siècle dernier et le début du 21ème, démontre le contraire. Ces deux siècles ont connu un développement fulgurant de la culture. L’analphabétisme n’a cessé de régresser, le nombre de bibliothèques et de librairies est en augmentation constante de part le monde, l’accès aux connaissances et au savoir scientifique s’est largement démocratisé, mais les guerres sont toujours là. On a atteint des degrés inimaginables dans les horreurs qu’elles peuvent provoquer. La culture a même été souvent utilisée pour justifier les massacres, les nazis ont même voulu légitimer l’élimination d’une partie de l’humanité par le recours à la culture scientifique.

     

    Freud s’est-t-il trompé ?

    Les hommes sont-ils condamnés à se faire perpétuellement la guerre ?

    Doit-on avoir recours à autre chose que la culture pour éviter cette fatalité ?
  • la barbarie à visage angélique

     

    un reportage sur le camp de guantanamo ( ICI) m'a inspiré le billet suivant :

     

    « Barbares vous pouvez tenir en cage

    Jamais de vos yeux rouges n’a débordé la fureur »

    Kateb Yacine, Soliloques.

     

    « Il n’y a pas de démons, les assassins de millions d’innocents sont des gens comme nous, ils ont notre visage, ils nous ressemblent. Ils n’ont pas un sang différent du nôtre »

    Primo Levi, A la recherche des racines.

     

    Ce qui m’a frappé dans ce reportage, c’est l’absence de toute image des prisonniers. Les geôliers les évoquent comme s’ils s’agissait d’artifices qu’on manipule sans aucun scrupule. 

     

    Pour  Primo Levi, Levinas, Robert Antelme, la déshumanisation commence d’abord par ignorer le visage de l’autre, par effacer son nom. L’autre est alors réduit à un matricule, une ombre, un simple corps et par conséquent un artifice, une chose. On peut alors l’humilier, le torturer, le tuer sans aucun remords.

     

    Par ailleurs, rappelons que les détenus du camp de Guantanamo n’ont pas été jugés. L’administration américaine refuse de les traduire devant les tribunaux américains. Ce refus est aussi une manière de déshumaniser les détenus.

    Même le pire des criminels a le droit à un jugement, à un avocat, non seulement pour répondre de ses actes mais aussi pour nous aider à comprendre les causes qui l’ont poussé à commettre ses crimes, à moins qu’on le considère comme ne faisant pas partie de l’espèce humaine.

  • petite leçon de dissection

    medium_homme-machine.jpg"Je est un autre" A. Rimbaud

     

    Si on dissèque l’être de chair que nous sommes, on ne trouvera que tuyauteries, viscères, cellules et molécules. Et si on lève la peau à l’être de parole que nous sommes, on ne découvrira que normes, automatismes, habitudes et conventions.  Des machineries, certes complexes, mais qui restent de vulgaires artifices reproductibles à l’infini.

     

    Mais alors d’où vient ce « moi, Je ! moi, Je ! » ?

     

    Se réduit-il à une simple combinaison de ces deux artifices ?

     

     

    Certaines interrogations éternelles que se posent les humains depuis toujours ne prennent sens pour un individu que dans des circonstances particulières. Je me souviens d’une drôle de sensation que j’ai eu il y a six ans après avoir subi une intervention chirurgicale qui avait nécessité une anesthésie générale.

     

    Avant l’opération, on m’avait allongé sur un lit d’opération. On raccorda mon corps à plusieurs tuyaux. Le médecin anesthésiste avait l’air d’exécuter machinalement certains gestes. On aurait dit un mécanicien, il aurait suffi pour cela de quelques tâches noires sur  sa blouse, ses mains et son visage. J’ai eu l’impression d’être une simple machine dont on allait réparer quelques rouages.

    Je me suis réveillé quelques heures plus tard. Une infirmière se pencha vers moi pour m’annoncer avec un sourire artificielle et une voix monotone que l’opération s’était bien passée. Une légère angoisse et  une sensation de vide s’emparèrent de moi : "où étais-je durant l‘opération ? "

    J’étais convaincu d’avoir cessé d’exister pendant toute la durée de l’opération chirurgicale. Et pourtant !

     

    Tableau : Homme-machine, Michel Grimard

  • C’est vers la rose qu’aspirent les épines.

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    L’être humain n’est pas un être achevé, il ne peut se résumer, ni à son passé, ni à son présent. Il est aussi un devenir. Il n’est pas seulement ce qu’il a été, mais aussi ce qu’il sera, ou ce qu’il n’est pas encore.

     

     

    Jadis, existait un pays où le Roi aimait s’occuper lui-même de son jardin.

    Un jour, voulant tailler ses fleurs, il fut blessé par les épines qui ornaient une branche d’un arbre qu’il avait planté. Cet arbre lui avait été offert comme cadeau par un roi d’une contrée lointaine.

     

    Cet arbre était un rosier qui n’avait pas encore fleuri. Le roi qui  n’avait jamais connu ce qu’est une rose ni vu de rosier, décida de le couper, et d’interdire à tous ses sujets de planter un tel arbre.

    Son royaume ne connut jamais ni la beauté de la rose, ni son doux parfum.

     

    En plus, croyant que le roi qui lui avait offert l’arbre voulait l’empoisonner, il lui déclara la guerre.

     © Saïd Bailal

  • Eloge des accents

    « Depuis mes premiers souvenirs de la voix de mon père s'exprimant en français dans le cercle familial -plus précisément encore lorsqu'il s'adressait à moi -, et jusqu'à ses dernières paroles, j'ai entendu dans chaque syllabe qu'il prononçait la mémoire, l'empreinte, le fantôme, non seulement d'une autre langue que le français, mais aussi d'un autre monde et d'un autre temps. » Alain Fleischer

     

     

    Au Maghreb, les berbères parlent l’arabe avec un accent très prononcé qui est souvent objet de moqueries de la part des arabophones. C’est pour cela que dès mon plus jeune âge, lorsque je me retrouverai dans les villes arabophones du Maroc, j’ai du me débarrasser très vite de mon accent. Plus tard en m’installant en France, pour éviter les rejets et les discriminations, j’ai gommé mon accent maghrébin en me fondant dans l’anonymat d’une prononciation correcte de la langue de Molière.

     

    C’est là l’un de mes plus grands regrets.

     

    J’aime les accents. Ils mettent l’écoute en veille en faisant tinter et vaciller les mots. Ils les difractent en de multiples éclats révélant souvent un autre sens éloigné de leur sens immédiat. Les accents attirent l’attention et l’aiguisent. Ils font entendre une autre langue dans la langue, ils font voir l’ailleurs dans ce qui parait familier. Ils révèlent le divers et le multiple dans ce qui parait uniforme. Les accents cultivent les ambiguïtés et mettent la lumière sur les infinis potentialités d’une langue. Lorsqu’à un accent plus ou moins correct se mêlent des accents étrangers, on jouit mieux de la langue.

     

    Lorsque je me suis mis à l’écriture, j’ai essayé de transcrire cet accent perdu dans mes écrits. Hélas j’ai fini par me résigner, ma plume d’adulte n’a jamais réussi à retrouver ce que ma langue d’enfant avait perdu.

     

    © Saïd Bailal