La source du poète
"A chaque effondrement des preuves le poète répond par une salve d'avenir" René Char
Lorsque les poètes disparurent de l’Agora, les champs des possibles rétrécirent
L'homme parlait sans cesse, et les gens du village, lassés par sa parole, refusaient de l'écouter.
"puisque personne ne veut plus me prêter attention, je m'adresserai à la source."
Et chaque nuit, quand la source se retrouvait seule, libérée de ses assaillants du jour, il allait lui tenir compagnie en lui racontant l'histoire du vent et de la pluie, de la rivière et de la montagne, de l'aurore et du crépuscule, des champs de blé et des peupliers, des gazelles mordorées et des juments blanches.
Et la source ensorcellée par son verbe, arrêtait ses murmures pour rêver près de lui. Les villageois notèrent avec satisfaction que leur source était devenue soudain plus abondante. Elle approvisionnait toutes les maisons, irriguait les jardins, abreuvait les troupeaux. Plus de disputes, plus de conflits autour de l'eau.
Or un jour, l'homme amoureux de la parole s'exila du village où il ne trouvait plus de travail. Au village le travail ne manquait pas, mais les gens répétaient : "L'homme qui a la langue frétillante ne peut faire un bon ouvrier."
Ils n'imaginaient pas que le départ du conteur causerait un chagrin infini à la source. Et la source ressera ses eaux et ferma son coeur. Elle se tarit.
Rabah Belamri Poète et conteur kabyle