Pour comprendre certains enjeux de la réforme du code de travail (le CPE), il faut lire ou relire "le travail sans qualités" de l'écrivain Richard Sennet, professeur à la London School of economics, qui est aussi historien, musicien et romancier.
L'auteur explore les effets de la nouvelle économie. Il part d'observations de cas concrets pour mettre en évidence les oppositions entre deux mondes de travail, un monde disparu, celui des entreprises "classiques" rigides et hiérarchiques mais propice à développer les solidarités, les engagements mutuels qui nécessitent le long terme pour mûrir, et le monde nouveau des restructurations des entreprises, où le court terme, l'insécurité et la précarité sont la norme.
R. Sennet analyse, à travers des situations concrètes et des "tranches de vie", comment la trajectoire des individus est devenue floue. Il démontre comment certaines valeurs ont perdu leur sens traditionnel, la difficulté pour un travailleur de développer et affirmer son caractère lorsque la flexibilité et la précarité le privent de tout repère.
Le mot carrière a perdu son sens habituel puisque le capitalisme nouveau renvoie le travailleur d'un type de travail à un autre, il le prive de tout "itinéraire identifiable". Dans un monde qui privilégie l'immédiat, il est de plus en plus difficile de construire des liens de confiance, d'amitié et de loyauté, de développer des liens sociaux et de favoriser les engagements mutuels et les solidarités.
Il est plus facile de manipuler, de soumettre et d'asservir un groupe de travailleurs précarisés, isolés sans liens de solidarité et peu aptes à l'engagement.
"le travail sans qualités" est à lire pour l'originalité de l'éclairage et la finesse de l'analyse. L'auteur s'appuie habilement sur les penseurs classiques (Virgile, Rousseau, Locke, Voltaire, Smith, Weber, ...) sans être rébarbatif. Et avec les parcours de vie que raconte l'auteur, le livre se lit comme un roman.