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  • Le griot

    A une dame qui lui demanda "- Pourquoi écrivez-vous ?, Nietzsche répondit : Je n'ai pas trouvé d'autres moyens pour me débarrasser de mes pensées".

     

     

    Aux nombreux griots et griotes du net, ils (elles) se reconnaîtront.
     

    Toutes les nuits pour fuir la peur et l'angoisse de l'obscurité, il avait pris l'habitude d'enfouir sa tête sous les draps, il fermait les yeux et s'inventait des pays imaginaires où il se baladait en attendant l'ouverture de la porte des rêves.

     

    Une nuit, il s'inventa un jardin où tout était formé de mots. Les troncs d'arbres et les branches étaient des phrases de différentes tailles. Au bout, les consonnes allaient à la rencontre des voyelles pour former des mots de couleurs variées et de différentes saveurs.

    Il s'amusa à en cueillir quelques uns pour les déguster. Il découvrit que certains mots doux finissaient par devenir amers.

    Il s'aperçut qu'en mâchouillant lentement certaines consonnes et en se débarrassant de quelques voyelles d'un mot, ce dernier finissait par avoir la saveur d'un autre.

     

    Il continua sa ballade à travers les allées de ce jardin étrange, et loin des sentiers battus faits de mots ordinaires, il emprunta un chemin tapissé par une phrase obscure. Soudain ébloui par la clarté d'un mot, il trébucha sur un mot tordu, il tomba dans un puits de paroles.

    Pour en sortir, il a du boire toutes la paroles,  et il n’a pas trouvé un autre moyen pour s’en débarrasser que d’en faire des histoires qu’il alla raconter de place en place.

    © Saïd Bailal

  • L'Orient et la beauté

    La beauté est une rencontre.

    François Cheng

     

    Il y a quelques siècles vivait dans le désert d'Arabie, un grand poète nommé Jamil. Il tomba amoureux de sa cousine Boussaïna. Il en fut tellement épris qu’il écrivit de très beaux poèmes, chantant la beauté de sa bien aimée, comparant l’éclat de sa chevelure au beau ciel d’une nuit d’Arabie, décrivant l’étincelle de son regard qui rendait jalouse la lumière, célébrant la blancheur d’ivoire de sa peau et sa silhouette de gazelle. 

     

    Un riche marchand de tapis, habitant à l’autre bout du désert entendit ces poèmes, il tomba, lui aussi, amoureux de Boussaïna. Il décida, alors, de tout quitter pour partir à sa rencontre. Il vendit ses cent chameaux, ses tapis, ses chèvres, quitta ses quatre femmes, ses vingt six enfants et partit à dos de chameau.

     

    Le voyage dura deux mois. Il fut épuisant, le riche marchand fort d’amour, brava tous les dangers : les scorpions, les serpents, les brigands, la soif et la chaleur étouffante.

     

    Arrivé dans le village de Boussaïna, il voulut la rencontrer. Les villageois l’informèrent qu’elle était en train de puiser de l’eau à la source du village.

    Quand il fut auprès d’elle, son cœur battait très fort. Il l’appela, quelle fut sa surprise quand elle se retourna.

       -  Ô mon Dieu, quelle horreur ! Comment ai-je pu tout sacrifier pour une telle laideur ? s’écria notre marchand.

     

    Furieux, il s’empressa d’aller trouver le poète Jamil afin de le tuer. N’était-ce pas lui la cause de tous ses malheurs ? 

     

    Le poète Jamil errait dans le désert chantant ses poèmes.

    Le marchand brandit un sabre et hurla :
       - Tes poèmes m’ont trompé sur la beauté de Boussaïna. J’ai tout perdu à cause de ta  poésie. Prie Allah, car ton heure est arrivée.
    Jamil lui répondit :
    - Ô égaré ! tu n’as pas su la regarder avec mes yeux, tu n’aurais vu alors que les beautés de Boussaïna.
    Retourne chez tes proches, et sache reconnaître la part de beauté qui est en eux, elle illuminera le restant de tes jours.

     © Saïd Bailal

  • Je rêve donc je suis

    Il voulait rêver un homme : il voulait le rêver avec une intégrité minutieuse et l'imposer à la réalité...

    (....)

    Avec soulagement, humiliation, avec terreur, il comprit que lui aussi était une apparence, qu'un autre était en train de rêver."    

    Borgès. Les ruines circulaires

    La nuit dernière une voix a murmuré à mon oreille : " Une voix qui la nuit murmure à votre oreille, ça n'existe pas".

     

    Nous sommes des êtres à la fois finis et infinis. Notre être charnel est limité. Prisonnier du domaine du fini, la mort est son horizon. Nous habitons une minuscule planète limitée qui tourne autour d'un soleil condamné à s'éteindre. Notre univers malgré son immensité est verrouillé par des bornes et limites infranchissables. Il est gouverné par une myriade de lois indépassables.


    Mais il y a en nous quelque chose qui dépasse cet univers. Une part de nous-mêmes provient de l’infini. Elle est capable de s’affranchir des lois physiques. Chaque nuit nous en avons la preuve dans nos rêves.
    Chaque nuit nous voilà vagabondant au-delà de toute limite; ni notre enveloppe charnelle, ni le temps, ni l’espace ne peuvent contenir tout notre être. Notre vouloir devient infini, nous empruntons des apparences multiples, le moi se disloque, il devient pluriel, le multiple devient un, nous empruntons la peau d’autres, les autres celle d’animaux, les animaux se muent en plantes, des êtres fantastiques surgissent de nulle part, les distances sont abolies, l’ici est aussi ailleurs, le sommet est abîme…

    Le rêve nous replonge dans l’infini. Il nous régénère. Au réveil nous voilà à nouveau prêts à affronter les limites et à supporter les entraves.

    Souvent au réveil une sensation nous envahit, celle d’être étranger au lieu où nous avons passé la nuit, étrangers à la personne qui a dormi à nos côtés, étrangers à nous-mêmes. Il nous faut quelques instants avant de revenir à nous-mêmes. Borgès fit remarquer qu’en espagnol, se réveiller se dit « se recordarse », littéralement se souvenir de soi. Comme si chaque nuit nous nous perdons dans nos rêves.

    Dans la tradition arabe, le sommeil est appelé "petite mort", l'âme est supposée quitter le corps durant le sommeil profond. Etant de substance divine et hors de son enveloppe charnelle elle n'est plus soumise aux lois de l'univers. Elle voyage dans le temps d'où la possibilité de rêves prémonitoires. Le rêve est l'occasion de renouer avec les forces celestes, le divin ou le diable.

     

    Chez certaines tribus d'Amérindiens, le rêve est considéré comme un miroir du futur. Il façonne en quelque sorte la réalité de l'individu et du groupe. Ces Amérindiens disposent autour de leurs lits un objet, appelé capteur de rêves, sous forme d'une toile d'araignée censée attrapper tous les rêves, les bons et les mauvais. Les mauvais rêves sont pris dans la toile et disparaissent au premiers rayons du soleil, Les beaux rêves passent au centre de la toile, et par là entrent dans la vie du rêveur pour guider sa vie.

     

    La science moderne a réduit le rêve à une simple activité neurobiologique, à un simple miroir du passé, à l'expression banale de nos pulsions refoulées.

    Le rêve, cette écoute fertile de la nuit, est dévalorisé au profit du principe de réalité. Chaque jour on entend des  rappels à l'ordre au nom de la réalité. Le rêve nuit à la bonne marche du monde semblent nous dire ceux qui détiennent les rênes du monde.

    © Saïd Bailal