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kalima - Page 8

  • Je rêve donc je suis

    Il voulait rêver un homme : il voulait le rêver avec une intégrité minutieuse et l'imposer à la réalité...

    (....)

    Avec soulagement, humiliation, avec terreur, il comprit que lui aussi était une apparence, qu'un autre était en train de rêver."    

    Borgès. Les ruines circulaires

    La nuit dernière une voix a murmuré à mon oreille : " Une voix qui la nuit murmure à votre oreille, ça n'existe pas".

     

    Nous sommes des êtres à la fois finis et infinis. Notre être charnel est limité. Prisonnier du domaine du fini, la mort est son horizon. Nous habitons une minuscule planète limitée qui tourne autour d'un soleil condamné à s'éteindre. Notre univers malgré son immensité est verrouillé par des bornes et limites infranchissables. Il est gouverné par une myriade de lois indépassables.


    Mais il y a en nous quelque chose qui dépasse cet univers. Une part de nous-mêmes provient de l’infini. Elle est capable de s’affranchir des lois physiques. Chaque nuit nous en avons la preuve dans nos rêves.
    Chaque nuit nous voilà vagabondant au-delà de toute limite; ni notre enveloppe charnelle, ni le temps, ni l’espace ne peuvent contenir tout notre être. Notre vouloir devient infini, nous empruntons des apparences multiples, le moi se disloque, il devient pluriel, le multiple devient un, nous empruntons la peau d’autres, les autres celle d’animaux, les animaux se muent en plantes, des êtres fantastiques surgissent de nulle part, les distances sont abolies, l’ici est aussi ailleurs, le sommet est abîme…

    Le rêve nous replonge dans l’infini. Il nous régénère. Au réveil nous voilà à nouveau prêts à affronter les limites et à supporter les entraves.

    Souvent au réveil une sensation nous envahit, celle d’être étranger au lieu où nous avons passé la nuit, étrangers à la personne qui a dormi à nos côtés, étrangers à nous-mêmes. Il nous faut quelques instants avant de revenir à nous-mêmes. Borgès fit remarquer qu’en espagnol, se réveiller se dit « se recordarse », littéralement se souvenir de soi. Comme si chaque nuit nous nous perdons dans nos rêves.

    Dans la tradition arabe, le sommeil est appelé "petite mort", l'âme est supposée quitter le corps durant le sommeil profond. Etant de substance divine et hors de son enveloppe charnelle elle n'est plus soumise aux lois de l'univers. Elle voyage dans le temps d'où la possibilité de rêves prémonitoires. Le rêve est l'occasion de renouer avec les forces celestes, le divin ou le diable.

     

    Chez certaines tribus d'Amérindiens, le rêve est considéré comme un miroir du futur. Il façonne en quelque sorte la réalité de l'individu et du groupe. Ces Amérindiens disposent autour de leurs lits un objet, appelé capteur de rêves, sous forme d'une toile d'araignée censée attrapper tous les rêves, les bons et les mauvais. Les mauvais rêves sont pris dans la toile et disparaissent au premiers rayons du soleil, Les beaux rêves passent au centre de la toile, et par là entrent dans la vie du rêveur pour guider sa vie.

     

    La science moderne a réduit le rêve à une simple activité neurobiologique, à un simple miroir du passé, à l'expression banale de nos pulsions refoulées.

    Le rêve, cette écoute fertile de la nuit, est dévalorisé au profit du principe de réalité. Chaque jour on entend des  rappels à l'ordre au nom de la réalité. Le rêve nuit à la bonne marche du monde semblent nous dire ceux qui détiennent les rênes du monde.

    © Saïd Bailal

  • Il faut oser l'exode

    Il faut apprendre à discerner les chances non réalisées qui sommeillent dans les replis du présent. Il faut vouloir s'emparer de ces chances, s'emparer de ce qui change. Il faut oser rompre avec cette société qui meurt et qui ne renaîtra plus. Il faut oser l'exode.

    André Gorz, misère du présent. Richesse du possible

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    Les problèmes du monde ne seront pas résolus par les cyniques dont les horizons sont bornés par la réalité et ses évidences. Il nous faut des hommes capables de rêver des choses qui jamais ne furent.

    John Fitzgerald Kennedy

     

  • Un monde flexible

    Pour comprendre certains enjeux de la réforme du code de travail (le CPE), il faut lire ou relire "le travail sans qualités" de l'écrivain Richard Sennet, professeur à la London School of economics, qui est aussi historien, musicien et romancier.

    L'auteur explore les effets de la nouvelle économie. Il part d'observations de cas concrets pour mettre en évidence les oppositions entre deux mondes de travail, un monde disparu, celui des entreprises "classiques" rigides et hiérarchiques mais propice à développer les solidarités, les engagements mutuels qui nécessitent le long terme pour mûrir, et le monde nouveau des restructurations des entreprises, où le court  terme, l'insécurité et la précarité sont la norme. 

     

    R. Sennet analyse, à travers des situations concrètes et des "tranches de vie", comment la trajectoire des individus est devenue floue. Il démontre comment certaines valeurs ont perdu leur sens traditionnel, la difficulté pour un travailleur de développer et affirmer son caractère lorsque la flexibilité et la précarité le privent de tout repère.

    Le mot carrière a perdu son sens habituel puisque le capitalisme nouveau renvoie le travailleur d'un type de travail à un autre, il le prive de tout "itinéraire identifiable". Dans un monde qui privilégie l'immédiat, il est de plus en plus difficile de construire des liens de confiance, d'amitié et de loyauté, de développer des liens sociaux et de favoriser les engagements mutuels et les solidarités.

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    Il est plus facile de manipuler, de soumettre et d'asservir un groupe de travailleurs précarisés, isolés sans liens de solidarité et peu aptes à l'engagement.  

     

    "le travail sans qualités" est à lire pour l'originalité de l'éclairage et la finesse de l'analyse. L'auteur s'appuie habilement sur les penseurs classiques (Virgile, Rousseau, Locke, Voltaire, Smith, Weber, ...) sans être rébarbatif. Et avec les parcours de vie que raconte l'auteur, le livre se lit comme un roman.

  • La sagesse

    Karl Marx était de droite

    Pinochet un lutteur de classe

    L'oncle Mobutu a passé sa vie

    dans le maquis à Cuba

    Lénine n'était que l'ombre du Christ

    Brigitte Bardot une réincarnation

    de Rosa luxembourg

    Et moi, je ne suis que l'une des voix

    d'une histoire épuisée

    par la coupe bue

    à la santé de la folie

    Hassan Ouezzani, poète marocain

     

    "Mesure. Ils la considèrent comme la résolution de la contradiction. Elle ne peut être rien d'autre que l'affirmation de la contradiction et la décision héroïque de s'y tenir et d'y survivre"

    Albert Camus, carnets

     

    Farid Belkahia

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    Le mot sagesse se dit en arabe "Hikma". En permutant les lettres de ce mot, on obtient le mot "Mihak" qui signifie lieu ou instrument de frottement. Ce terme « Mihak » désigne entre autre l’instrument qui sert à frotter la laine, à l’emmêler pour en faire quelque chose de solide.

     

    medium_filer.2.jpgLa sagesse peut être définie comme étant un lieu de « frottement » des idées et un instrument de confrontation des opinions.

     

    Le sage n’est nullement celui qui possède la vérité ni celui qui a la meilleure ou la plus juste opinion. Il est celui qui sait « frotter » et confronter les différents points de vue sans se désorienter ni s’engloutir dans le labyrinthe des confusions. 

     

    Le sage aime s’aventurer dans les interstices des opinions, il lui devient ainsi aisé de les adopter toutes  pour mieux connaître la part de vérité qu’elles contiennent et mettre en lumière les limites et les contradictions de chacune.

     

    Le sage est celui qui ose le mariage des incompatibles. Il est celui qui sait épouser tous les regards pour multiplier les niveaux de perception, pour mieux rendre compte de l’essence conflictuelle du réel.

     

    © Saïd Bailal

  • Le tyran

    "Je sais aussi que la terreur que je vous inspire est telle que même après ma mort vous ne retrouverez le sommeil ni le goût de vivre. (...) Vous avez beau m'enterrer au plus profond de la terre, faire couler sur moi d'infinies laves de béton, m'incinérer et disperser mes cendres aux quatre coins du globe, ou me faire découper en rondelles, je reviendrai hanter vos nuits."

    Rachid Mimouni, une peine à vivre

     

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    Mon village natal est surplombé par une colline qui porte le nom d'Azrou Hammar (rocher de hammar). On raconte que ce Hammar fut un tyran qui martyrisait les habitants de la région. Ceux-ci décidèrent de s'en débarrasser.

    Un d'entre eux se proposa de le faire à condition qu'on s'occupa de sa famille après sa mort. Il emmena Hammar sur la colline en le portant sur son dos, et il se précipita dans le vide avec lui. Depuis lors, cette colline porte le nom du tyran Hammar.

     

    J'ai toujours été intrigué par le fait que les habitants n'ont pas retenu le nom de l'homme qui sauva mes ancêtres mais celui du tyran.

    Dans la plupart des villes de notre planète, même dans les pays démocratiques, des avenues et des places portent le nom de tyrans sanguinaires. On leur érige des monuments, de longues pages des livres d'histoire leur sont consacrées.

    Les tyrans exercent sur la mémoire collective et individuelle une sorte de fascination, mélange cruel de dégoût, de haine et de séduction perverse.

    D'où vient cette fascination morbide ?

     

    © Saïd Bailal